Pythagore avait-il raison d’affirmer que « les nombres sont l’essence des choses » ? Convient-il comme Galilée de considérer que « le livre de la nature est écrit en langage mathématique » ? Autant de questions dont une partie des réponses se trouve dans « L’histoire des nombres », un ouvrage composé d’articles parus dans le magazine « La Recherche » et que les auteurs ont remis à jour au grand bénéfice des Editions Tallandier. On remerciera le même éditeur pour avoir volontairement, si l’on ose dire, varié les plaisirs : génies ou passionnés de mathématiques comme littéraires férus de métaphysique ou d’ésotérisme découvriront dans cette publication de quoi satisfaire leur insatiable curiosité. Passons donc – que les scientifiques me pardonnent – sur ces nombres p-adiques, sur la démonstration du théorème de Fermat, chapitre néanmoins plus accessible ou sur la double correction des « turbocodes », pour en venir à quelques données plus…philosophiques.
On appréciera ainsi le développement court mais historiquement dense de Catherine Goldstein sur « la naissance du nombre en Mésopotamie », une belle histoire de roseau et d’argile consacrant la « séparation entre le signe écrit quantitatif et qualitatif ». On partagera ensuite avec Hourya Benis Sinaceur les interrogations d’Aristote sur l’infini, « ce qui ne se laisse pas parcourir », interrogations corrigées quelques siècles plus tard par Spinoza qui distinguera le « vrai infini » substance indivisible proche de l’essence divine et le « faux infini », celui du « nombre, objet de l’imagination ». Comment échapper par ailleurs à l’intrigue, toujours fascinante pour un être humain avide de rationalisation, des nombres premiers dans une étude présentée par Henri Cohen ?
Contrairement aux hommes, les nombres font l’histoire et savent aussi l’histoire qu’ils font. On se souviendra de la remise en cause d’une partie de la théorie cartésienne par les découvertes ultérieures de Newton et de Leibniz. Le « temps universel » des philosophes énoncé dans « Durée et simultanéité » de Bergson lui aussi sera durement questionné par la théorie de la « relativité » décrite par Einstein. Ce dernier réfutera à son tour, selon Gregory J. Chaitin, la mécanique quantique du début du siècle qui réintroduit « une indétermination fondamentale dans la nature des choses ». « Dieu ne joue pas aux dés » maintiendra le Prix Nobel de physique. Encore des querelles de chiffres.
Les derniers chapitres du livre nous rapprochent du quotidien : après l’histoire du « mètre », on en apprend un peu plus avec Fabienne Lemarchand et Loïc Blondiaux sur l’origine des techniques de recensement et sur la culture des sondages d’opinion, dernier point que l’abbé – et révolutionnaire ! – Emmanuel Joseph Sieyès voyait d’un très mauvais œil : pas la peine, expliquait-il en substance, d’interroger la Nation puisque le « Parlement veut pour elle ». Vision quasi prophétique. « Savons-nous vraiment ce que nous comptons » se demandait récemment une chronique incisive du Figaro ? Les chiffres, surtout lorsqu’ils sont mauvais, ne sont pas toujours les meilleurs alliés des hommes.
« Histoire des nombres », Editions Tallandier, 2007, 298 p., 23 euros.