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22 novembre 2024

« Réflexions et Aventures » de Winston Churchill : la conscience d’un destin.

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jpg_wc.jpgCes « réflexions » sont bien à l’image de l’homme qui les a rédigées : elles appartiennent à deux mondes. Celui « d’hier » dont l’écrivain Stefan Zweig parlait admirablement dans l’un de ses ouvrages, et celui, plus contemporain, qui promit à son peuple « du sang et des larmes ». D’où une étrange impression pour le lecteur de se trouver en présence de deux personnages en un seul. Winston Churchill dont les Editions Tallandier viennent de publier le deuxième recueil de ses textes après celui consacré à ses « années de jeunesse », n’en finit pas de nous déconcerter : il est capable de ces approches les plus conservatrices, absolument « British Empire » mais il sait aussi, quelques lignes plus tard, faire preuve d’une vision extraordinairement moderne du sens de l’histoire. Il en va notamment de ces pages élaborées tout de même en 1930 et intitulées « Gouvernement parlementaire et économie politique » où le jeune député explique déjà que la « nation ne s’intéresse pas à la politique mais aux problèmes économiques… qu’elle a obtenu pour l’essentiel ce qu’elle désirait en politique et ce qu’elle demande aujourd’hui, c’est plus d’argent, plus de loisir, un travail assuré, un confort croissant et la prospérité matérielle ». Quelques pages plus loin, l’auteur prolonge des pensées sur l’économie financière que l’intelligence économique contemporaine ne démentirait pas : « nous sommes en présence de nouvelles forces …il y a l’immense réseau des cartels et des accords commerciaux qui s’est développé sans égard aux frontières et au sentiment national, ni aux lois fiscales ». Rien à retrancher donc de cette saisissante analyse !

Par ailleurs, le futur Premier Ministre de Sa Majesté nous enchante lorsqu’il donne libre cours à ses considérations comme les heureuses habitudes de son siècle l’y invitaient : il en vient ainsi à regretter, à l’image de l’expression du poète anglais John Morley sur le siècle des « trônes vacants », que le sien ne « sache plus produire de héros ». Expression qui dissimule mal les attentes secrètes de sa singulière destinée.

L’homme peut aussi nous confondre par sa charmante naïveté, son côté étonnement faustien, en particulier dans le texte choisi pour introduire ce recueil : « S’il m’était donné de revivre ma vie ». Un chapitre où il développe l’idée très kundérienne de l’homme qui ne cesse de s’interroger à chaque pas franchi, retraçant inlassablement son parcours par un imaginaire reconstruit dans l’après coup, le tout avec une bonne dose paradoxale de déterminisme. Etrange passage de ce politique croyant presque au signe divin dont on se souviendra qu’en 1940, il sentit des « ailes voler au dessus de lui » tant les opportunités politiques le conduisant aux plus hautes charges contrastaient avec la catastrophe s’approchant de la Grande Bretagne. Son développement sur « la constance en politique » vaut assurément tous les bréviaires de Mazarin, expliquant sur un ton quasi débonnaire que, réalisme politique oblige, la contradiction des idées doit s’effacer devant le changement des circonstances : « Dites vigoureusement ce que vous pensez aujourd’hui! Demain, dites tout aussi vigoureusement ce que demain vous fera penser quand bien même cela contredirait tout ce que vous avez dit aujourd’hui ».

On savourera en outre les pages sur « l’Empire allemand », notamment le récit digne d’intérêt historique de sa participation aux manœuvres de Wurtzbourg ainsi que ses capacités d’observation des changements de la tactique allemande. Tout comme on s’inspirera de ses réflexions sur les archaïsmes et les résistances de la Marine royale opposée au début de la première guerre mondiale à l’instauration de l’escorte navale destinée à protéger les convois de bâtiments civils en provenance d’outre atlantique contre les attaques des sous-marins allemands. Un moyen de rappeler combien le « politique doit toujours dominer la puissance militaire ». Sa journée avec le président Clemenceau -qui écorche son patronyme- racontée sur le mode d’un trophée gagné de haute lutte, son tropisme pour les ballades en aéronef qui faillit lui être fatal, ne sont pas parmi les moindres des anecdotes attachantes contenues dans ces « Réflexions et aventures ». On apprend beaucoup, on médite souvent et l’on sourit à chaque page tellement les propos sont parfois picaresques. Autant de bonnes raisons pour acquérir cet opuscule !

Winston Churchill, « Réflexions et aventures », Coll. « Texto », Editions Tallandier, 2008.

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