Dans le sillage de Thierry Malandain, Directeur du Centre chorégraphique national de Biarritz où il est responsable de la formation, Gaël Domenger, auquel le directeur de l’Opéra de Nice, Paul-Emile Fourny a intelligemment fait appel pour cette production, n’est pas un chorégraphe ordinaire. Quelques minutes d’entretien à l’issue de la représentation suffisent pour saisir la richesse d’un homme au parcours pétri -intriqué serait plus exact- de multiples influences culturelles et artistiques, susceptibles d’apparaître contradictoires au profane. Mais l’ancien élève à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris sait parfaitement les « articuler », à l’image des corps de danseurs et de danseuses dont il développe, orchestre et harmonise les complexes évolutions sur la scène.

En premier lieu, Gaël Domenger a su, dans la conception de son travail, intégrer, voire amplifier, l’héritage romantique laissé par la partition – l’ouverture et la musique de scène furent écrites et jouées à dix-sept ans d’intervalle – du compositeur Félix Mendelssohn, ami et contemporain de Robert Schumann, dont il dirigea la première symphonie dite du « printemps ». Une première raison, selon lui, pour associer les deux musiciens dans cette réalisation. Jouée pour la première fois en mars 1841 à Leipzig -ville où Gaël Domenger a justement présenté nombre de ses créations- la « symphonie du Printemps » de Schumann intervient un an après son mariage avec Clara Wieck et la naissance de sa fille : une heureuse renaissance après les heures sombres vécues par le compositeur. Argument également avancé par le jeune scénographe pour évoquer « les anciens rites de Mai » suggérés par la pièce de William Shakespeare. Et pour déceler, par surcroît, dans cette musique qui vient « en renfort du compositeur titulaire », un moyen de « calmer la discorde entre Obéron et Tytania », les deux protagonistes du livret original, et permettre à « de nouveaux couples de jeunes amoureux de traverser les portes de l’été ». Première et deuxième parties mêlent ainsi les deux compositeurs interprétés avec unité et passion par un Orchestre philharmonique de Nice brillamment dirigé par Fabrizio Ventura.
Sous l’impulsion de Gaël Domenger, les évolutions scéniques du Corps de ballet de l’Opéra de Nice suggèrent ensuite des processus ininterrompus, mais toujours fluides dans l’expressivité, d’articulation, d’imbrication et de désintrication des corps. Ni entièrement confondus, jamais complètement autonomes, ces derniers se meuvent et se laissent saisir afin de conserver à la chair sa dimension sensuelle, voire érotique. « Des bras qui deviennent des jambes ou l’inverse » précise Gaël Domenger.
« Le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler » explique, dans un ouvrage posthume (« Petite Anatomie de l’inconscient physique ou petite anatomie de l’image », Editions Allia, 2002) Hans Bellmer, artiste et figure majeure du Surréalisme, dont semble largement s’inspirer Gaël Domenger dans sa conception scénographique. En 1934, Hans Bellmer décide de défier la montée du nazisme en confectionnant une poupée érotique, « une créature artificielle aux multiples potentialités anatomiques ».
Pour un chorégraphe, explique Gaël Domenger, « danser c’est savoir obéir ». A l’image de ce rideau de cordes qui, dans l’enchaînement successif des tableaux, se doublent, se triplent, s’intensifient pour constituer un cadre de plus en plus contraignant pour les danseurs sans jamais parvenir à les enfermer. La forêt des fées protège finalement ses secrets du regard du non initié. Après les musiques, les corps et les objets, le volume : le scénographe invente un espace géométrique, un carré, représenté du début jusqu’à la fin de son œuvre et peut-être destiné à restructurer, à borner la dimension scénique.
Point n’est besoin de féliciter Gaël Domenger pour cette production : non seulement le public s’en est largement chargé et l’effacement de l’artiste derrière les danseurs et le chef d’orchestre lors des salves d’applaudissements en dit long sur sa modestie et son caractère intimiste : plus l’arbre a de fruits, plus les branches tendent vers le sol !