Il a 32 ans, niçois d’origine et depuis quelques années il traîne ses guêtres et surtout son appareil dans les rues et ruelles de la ville qui l’a vu naître et grandir.
Son nom, Sylvain Collet. Ce « shooteur » des temps modernes procède à reculons et pas de loup dans un art dont il a toujours douté de la légitimité. C’est dans l’optique de poésie dans laquelle il s’est par contre inscrit depuis 16 ans qu’enfin la photographie vient prendre pour lui l’intérêt qu’elle mérite. La poésie sans les mots quel pari !
Actuellement, une exposition de ses clichés appelée « Psychanalyse des épaves » est proposée au bar « le Ketje » situé au 15 rue Auguste Gal.
L’auteur propose une approche poétique de la réalité visuelle, prend le temps de s’arrêter sur des détails qui nous échappent au quotidien, boulons, escarbilles, lampadaires abattus.
Un regard qui plonge sans concession dans la matière flétrie, usée, vieillie, pour en révéler le vécu. Une compassion pour l’objet réformé, des restes d’atelier, qui met en lumière des sentiments humains comme la peine et l’accablement, mais aussi et surtout la capacité de l’humain à survivre par la richesse de ses propres rides et cicatrices émotionnelles.
On a là une proposition de rêver dans le miroir plus qu’un propos réellement directeur, et chacun doit y trouver l’écho de ses peines vécues, mais dépassées dans l’étonnement malgré l’apparente dureté des sujets.
Franck Viano
Interview Sylvain Collet
Sylvain, c’est quoi la photographie pour toi ?
Un art que je ne croyais pas digne de ce nom, mais celle-ci apprivoise mon opinion au fur et à mesure que je maîtrise tant bien que mal sa pratique. Quand elle est réussie, elle permet de toucher immédiatement la sensibilité, sans un mot. C’est cette force muette qui me l’a faite aimer. La photographie est à la poésie ce que la pénétration sexuelle est au billet doux.
Déclencher instantanément l’émotion brute, sans passer par le discours. Elle est donc très pratique pour faire partager le chagrin, la colère, l’exhaltation, la stupeur… toutes ces émotions que le texte a souvent du mal à décrire. Mais c’est avant tout un moyen scientifique de capturer la lumière d’un sujet A pendant un instant T selon un point de vue xyz, et la lumière est ce qu’on arrivera jamais à rattrapper. Magique non ?
Je finis par être d’accord avec ces indiens dont on « vole l’âme » en les photographiant. Qu’est ce que capter un peu de leur lumière pendant un instant, avec tout ce qu’elle contient ? Avec le pouvoir de la restituer ensuite !
C’est aussi un bon moyen de composer un tableau propre quand on ne sait pas peindre ou qu’on en a pas le temps.
Pour cette exposition, c’est j’espère le moyen de faire partager des sensations assez spéciales. J’ai été ému par des objets parce qu’ils ressemblaient à mon ressenti. Mon inconscient focalise sur un sujet et je le shoote, si c’est réussi, l’inconscient du public est touché de la même émotion. C’est une question de partage intime, impossible autrement sinon par une composition musicale virtuose.
Quel a été ton parcours, semé d’embûches ou voie royale ?
Le parcours d’un jeune à qui on impose des études technologiques en dépit de ses voeux artistiques sous prétexte de » voie royale » et de bonnes notes en math. Ma pratique artistique a donc été jusqu’à récemment une pratique coupable. » Les arts et les lettres , ça ne mène à rien… ». Après des études scientifiques, j’ai travaillé sur des chantiers, puis comme commercial dépressif, puis animateur de tourisme vert où j’ai commencé à photographier.
J’organisais un lent revirement. Pendant ce temps, j’ai toujours écrit de la poésie, comme des bouffées d’oxygène. J’ai alors décroché un emploi de photographe salarié où pendant 4 ans je me suis formé à la pratique photographique, entre livres et astuces personnelles. J’ai travaillé pour les plus grands hôtels de Menton à St Tropez, Saint Barthélémy, Londres, avec le même esprit de sérieux que j’avais appris sur les chantiers. Le métier de photographe fait rêver beaucoup de gens, je le faisais comme on câble une armoire électrique avec minutie, parce que je n’avais jamais rêvé de ça.
Puis enfin, à force de l’utiliser, l’appareil photo est devenu un moyen d’exprimer des sentiments personnels, comme j’aimais le faire en poésie. Voila ce qui a mené jusqu’à cette exposition, des instantanés pris au gré de parcours professionnels le plus souvent, des moments de rêve volés au devoir et à la frénésie.
Quels sont tes projets ?
Je continue à travailler comme photographe dans le tourisme et les hôtels, l’événnementiel pour l’alimentaire. Je vois l’avenir sur le long terme, je ne propose que des compétences que j’ai, et j’étoffe celles-ci au fur et à mesure pour pouvoir satisfaire un panel de clients de plus en plus large.
Je vais continuer à me former, notamment en labo noir et blanc et en portrait mais ces formations sont chères. Pour ce qui est de la photographie artistique, cette exposition c’est le cri du nouveau né : plein de douleur et de révolte mais plein de vie. Maintenant que j’ai pu communiquer ces émotions, je vais me tourner vers des sentiments plus agréables, et tenter dans la même veine de fournir du réconfort et de l’émerveillement. Je continuerai à m’intéresser au contenu mémoriel des déchets et des objets usés de toutes façons.
Peut être me tourner vers la photo de corps, ce qui passionne beaucoup de photographes mais à priori pas moi. J’aimerais photographier des vieilles dames toutes nues, pleines d’histoire, pas comme ces filles lisses qui n’ont rien à raconter. Cette exposition migrera dans la cafeteria de l’espace magnan début octobre et trouvera j’espère d’autres espaces par la suite car elle me tient énormément à coeur.
Et si Sylvain était un livre, une photo et une chanson ?
Un livre : L’existentialisme est un humanisme. J.P. Sartre.
Une photo : Autoportrait lampadaire abattu, par moi même.
Une chanson : Tous les mômes. Kent.