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22 novembre 2024

Une réédition de « La Treizième Tribu » d’Arthur Koestler : la « Khazarie », premier Etat juif avant Israël ?

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jpg_ak2.jpgLorsque cet ouvrage sort au tout début des années 70, il fait notoirement scandale. Un écrivain juif de renom, ami des plus grands comme Camus ou Malraux, partisan acharné des libertés au point de remettre en cause son appartenance communiste après les Procès de Moscou, engagé résolument dans la cause sioniste, ose mettre en question l’origine des Ashkénazes : ces populations juives en provenance supposée du nord-est de la France, des Flandres et de Rhénanie ne seraient pas finalement, selon lui, juives d’origine. Il s’agirait, explique Arthur Koestler dans son livre « La Treizième Tribu » de descendants d’une peuplade sise entre Danube, Don et Volga appelée « Khazars ». Son étude particulièrement fouillée, et dont il faut saluer la réédition dans la collection « Texto » de chez Tallandier, étaye la thèse de D.M. Dunlop, un historien britannique. Ce dernier développait quelques années avant lui l’idée d’une conversion massive au judaïsme en 740 de ce peuple, géographiquement et stratégiquement coincé entre une poussée des conquérants islamiques et les ambitions des puissances chrétiennes autour de Byzance. Si les raisons qui amenèrent l’écrivain à se lancer dans une telle recherche demeurent encore obscures de nos jours, surtout si l’on prend en compte les critiques parfois féroces auxquelles ses conclusions n’allaient pas manquer, il s’en doutait, de l’exposer, force est néanmoins de constater que l’auteur n’a pas lésiné sur l’exploitation systématique des sources à sa disposition : sa connaissance de l’hébreu, de l’allemand, du français, de l’anglais et du hongrois, lui donne accès à des textes pas encore déchiffrés : des manuscrits arabes comme celui de Togan découvert en Iran en 1923, des écrits d’Al Masudi, le grand historien arabe du Xème siècle, des chroniques russes du XIIème siècle ainsi qu’un échange de lettres autour de 954-961 entre Hasdai Ibn Shaprut, Ministre juif du Calife de Cordoue et un scribe du roi des Khazars. Même emporté par son enthousiasme, Arthur Koestler ne cède en rien aux exigences de l’historien lorsqu’il soupèse avec soin, tout en prenant à témoin le lecteur, la nature et le contenu des preuves qu’il avance au cours de sa recherche. A ce titre, certaines formules et appréciations de l’auteur, marques de sa distance critique, trahissent simultanément sa crainte d’être perçu à la fois comme juge et partie.

Tout les arguments sont ainsi passés en revue : situation géographique du peuple khazar entre Caspienne et Mer noire, dialecte qui se rapproche de celui des Bulgares, analyse de l’environnement politico-religieux qui conduit Kagan, le roi des Khazars à exiger de son peuple la conversion obligatoire au judaïsme – un judaïsme arrangé qui, dans un premier temps, « permit au peuple de conserver son paganisme et d’adorer ses idoles » précise l’écrivain. Peut-être cette branche du judaïsme se rapproche-t-elle, s’interroge encore l’auteur du célèbre « Le zéro et l’infini », de celle des « Karaïtes, secte fondamentaliste apparue en Perse au VIIIème siècle, avant de se répandre dans toutes les communautés juives ».

Mais l’historien sait aussi se faire journaliste pour tirer toutes les conséquences de son travail lorsqu’il aborde les répercussions du « déclin de la Khazarie » : la dissémination à partir du IX-Xème siècle, de cette communauté aux quatre coins de l’Europe centrale et orientale mais aussi jusque dans les environs de Bakou. Dans l’étendue de ses investigations, Arthur Koestler en retrouve même des traces parmi les premiers Seldjoukides dont certains des descendants arboraient des prénoms juifs ainsi que chez des « khazars juifs », initiateurs d’un mouvement messianique du XIIème siècle, « essai de croisade juive rudimentaire » précise l’auteur, et qui se proposaient de conquérir la Palestine par les armes. De cette « enquête », conclut-il, deux faits ressortent : « la disparition de la nation khazare dans son habitat historique et l’apparition dans des régions voisines au nord-est…de la plus grande concentration de juifs depuis le début de la diaspora ». Et en appui de sa démonstration qui vise à réviser « l’histoire des juifs allemands de la communauté ashkénaze », l’écrivain analyse la langue yiddish dans laquelle on ne trouve, selon lui, « aucune composante linguistique provenant des régions allemandes proches de la France ».





On peut ainsi mieux éclairer, lors de la publication de « La Treizième Tribu », la condamnation sans appel lancée par l’écrivain Isaac Bashevis Singer pour lequel « Koestler est un auteur juif qui en niant sa judéité, n’est plus un juif ». Il n’empêche que cet ouvrage mérite la lecture : outre l’intérêt historique d’aborder avec de multiples et solides références une période et une région souvent méconnues, la pédagogie de l’écrivain rend ce périple particulièrement éclairant et accessible pour les contemporains que nous sommes. Comme l’expliquait d’ailleurs un ancien président du CRIF, interrogé sur ce livre : « Il y a tellement d’hypothèses qui vont de l’orient à l’occident, sans oublier l’Afrique ! ».

Arthur Koestler, « La Treizième Tribu », Coll. « Texto », Editions Tallandier, 2008.

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