Les estimations de l’Insee découlent directement du confinement, tel qu’il est observé depuis deux semaines, et des changements de comportement qu’il a entraîné. Usant de sources variées, les entreprises elles-mêmes, les administrations, le groupement Cartes bancaires et bien d’autres, l’Institut a estimé que la perte d’activité irait selon les secteurs de 90 % dans la construction à 50 % pour l’industrie et seulement 4 % pour l’agriculture et les industries agro-alimentaires.
Le coup le plus dur pour l’économie du pays serait la baisse de 36 % encaissée par les services marchands, qui génèrent 56 % du PIB du pays. Le choc est donc très rude, au moins deux fois plus important que ce que les chiffres chinois suggéraient (une baisse de 15 % à 20 % du PIB en janvier-février).
A priori, le choc devrait être de même ampleur en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. Il n’est pas sûr qu’il soit bien moindre en Allemagne, dont l’industrie était déjà touchée par la chute des importations chinoises et du commerce mondial en général.
L’impact final dépendra évidemment de la durée du confinement, mais également de la trajectoire de sortie. Pour l’éclairer, il pourrait y avoir deux scénarios bien différents.
Le scénario rose : sortie sécurisée, baisse de 10 % du PIB cette année puis rebond puissant en 2021
Partant des estimations de l’Insee, faisant l’hypothèse que le confinement s’étalerait sur deux mois et serait suivi d’une reprise progressive mais sans discontinuité, en parallèle avec les autres pays européens – et bénéficiant de la reprise chinoise, légèrement avancée — on parvient néanmoins à un baisse annuelle du PIB supérieure à 10 % en 2020, suivie d’un puissant rebond en 2020 (+ 12 %), qui permettrait de retrouver le niveau de PIB antérieur à la crise vers le milieu de l’année 2021.
Il s’agit clairement d’un scénario optimiste, dans lequel l’excès d’épargne accumulé durant la période de confinement serait en partie consommé, où les dégâts subis par les entreprises seraient suffisamment limités pour que les projets d’investissement repoussés soient relancés, et où une bonne synchronicité des reprises européennes assure une demande extérieure robuste.
Le déficit budgétaire atteindrait 10 % du PIB, voire plus, principalement en raison de la chute des recettes fiscales, TVA avant tout : dans ses estimations, l’Insee considère que le niveau de consommation durant le confinement serait lui aussi en baisse de 35 % par rapport à la normale. Une condition nécessaire au déroulement de ce scénario optimiste est que les politiques budgétaires ne cherchent pas à compenser les manques à gagner de la crise par des baisses de dépenses ou des augmentations de prélèvements.
De ce point de vue, le financement des déficits ne devrait pas poser de problèmes en 2020, puisque la BCE a mis en place un programme d’achat d’obligations ambitieux, le PEPP1 – au moins 750 Mds d’euros, ce qui devrait être proche de l’augmentation des déficits de l’union monétaire cette année — sans grandes contraintes, puisque la règle auto-imposée d’un seuil de détention d’un actif particulier à 33 % est levée pour ce nouveau programme d’achat. Il pourrait en être autrement en 2021, si les États de la zone euro ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur un financement collectif de leur effort de lutte contre l’épidémie.
Le scénario noir : sortie, puis rechute, un profil dont les conséquences sociales et politiques pourraient être gravissimes
Si les conditions d’une sortie de confinement dans de bonnes conditions sanitaires n’étaient pas remplies, un redémarrage de l’épidémie deviendrait probable. Dans ce cas, on peut craindre que, dans un premier temps, les autorités ne tergiversent, faute d’avoir toute l’information disponible (le virus semble avoir un temps de mutation assez lent, mais il mute quand même), avant de se résoudre à ré-imposer un confinement total ou partiel.
Pour l’économie du pays, ce serait un véritable scénario catastrophe. Le début de reprise avorterait, les faillites se multiplieraient malgré toutes les mesures prises pour les prévenir, car les banques ne pourraient se permettre d’étendre les lignes de crédit ad libitum.
Les entreprises de plus grande taille, considérées comme nécessaires à la sécurité du pays ou au maintien de l’emploi – on songe aux transports ou à l’industrie automobile – pourraient être nationalisées, mais cela ne changerait guère l’image d’ensemble.
La simulation prévoit une faible reprise lors de la sortie du confinement, suivie d’une rechute, puis d’une faible croissance, bridée par les dégâts infligés aux entreprises et par la forte augmentation du chômage. Pour fixer les idées, le PIB baisserait de 16 % en 2020, de 2 % à nouveau en 2021, et même si la croissance reprenait ensuite, le niveau d’activité serait fin 2022 encore 15 % plus bas qu’au début de la crise, ce qui suggère un taux de chômage de l’ordre de 20 %, du jamais vu depuis la crise de 1929. Pour combler le déficit d’emplois, les salaires réels devraient en théorie baisser significativement, ce qui, en l‘absence d’inflation a bien peu de chances de se produire. L’État tenterait très probablement un plan de relance de grande ampleur, ce qui poserait évidemment la question de son financement par les marchés.
Point n’est besoin d’aller plus loin pour comprendre que dans de telles circonstances, c’est la structure politique et sociale du pays et de l’Europe qui serait ébranlée. Face à des déficits budgétaires abyssaux dans les pays du Sud, la dévaluation leur apparaîtrait comme la seule voie de sortie, car, si sauver la Grèce, ou prêter à l’Espagne, au Portugal et à l’Irlande de façon collective était possible en 2012, les montants en jeu si la France, l’Italie et l’Espagne étaient financièrement aux abois dépasseraient les capacités de crédit des épargnants du Nord et même d’absorption de la BCE.
Moment Hamiltonien, ou éclatement de l’euro ?
Du coté des partisans d’une fédéralisation de l’Union européenne, ou de la zone euro, on pense que la crise pourrait offrir ce « moment Hamiltonien » dont ils rêvent depuis longtemps, du nom du ministre des finances de la toute jeune fédération des États américains en lutte pour leur indépendance, et qui décida de reprendre les dettes des États fraîchement fédérés en 1790. L’histoire leur donnera peut-être raison, mais il est tout aussi possible que l’euro fasse les frais de la catastrophe, de façon à redonner des marges de manœuvre aux pays sinistrés.