En temps de crise les pays occidentaux se montrent prudents, voire se referment. Chez les orientaux et plus spécifiquement en Asie, c’est le moment de l’action, de l’ouverture.
Un nouvel exemple avec Taïwan –présent en janvier pour la 18e année au Midem de Cannes – pour qui cette 62e édition du Festival revêt une importance toute particulière. Le cinéma taïwanais fête ses 10 ans de présence sur la Croisette mais jamais il n’avait pénétré à ce point dans la cour des grands.
Deux réalisateurs en course dans la sélection officielle ainsi qu’une comédienne membre du jury, il fallait bien la plage du Carlton pour fêter cela au cours d’une « Taïwan Night Party » haute en couleurs et surprises…
Taïwan déjà Puissance 3 au Midem
Si la France constitue le 4e partenaire commercial européen de Taïwan, nous avions été déjà très surpris – au mois de janvier- d’être le seul média français à s’intéresser à cette production musicale. Que ce soit lors du déjeuner presse où seuls les anglo-saxons avaient délaissé les grosses conférences du programme officiel, sur le stand et même lors de la « Taïwan Night » au Palais des Festivals.
Si nos collègues français étaient venu(e)s, ils et elles auraient découvert un ambassadeur Docteur ès Lettres de Paris VII, totalement abordable, portant un prénom français -Michel- devant son nom Ching-Iong Lu et ne souffrant d’aucun complexe vis-à-vis de la « Grande Chine ». Avec son directeur du service information à Paris, Pascal D.K.Liu, ils étaient venus présenter trois groupes musicaux de cultures différentes.
Dream T, que l’on pourrait traduire à la fois par Dream Team mais également Dream Taiwan, c’est plus qu’un concert, un véritable spectacle vivant qui marie avec finesse la musique électro, la vidéo et la danse contemporaine avec la tradition théâtrale des marionnettes complices des danseurs et danseuses.
Le second, Taïwan Soul ou la musique aborigène revisitée par deux voix féminines envoûtantes qui veut également préserver la culture de cette population dont il ne reste plus que quatre mille représentant(e) s sur l’île.
Le troisième, Sodagreen, formé en 2001, plutôt orienté pop music, composé de cinq garçons et une fille qui se sont connus au collège. Golden Melody Award (2006 et 2007), une tournée triomphale en Asie et surtout premier groupe à jouer à guichets fermés en 2008 dans le Taïpei Arena et devant 10.000 personnes.
De jeunes artistes de talent, chaleureux et décontractés même en prenant la pose en compagnie de leur ambassadeur (sur la photo) et qui n’ont pas hésité à ponctuer le discours de celui-ci de nombreux « Yeah » pour lui exprimer leur soutien à cette initiative de les faire venir au Midem après un passage au Divan à Paris.
Respect, malgré ces ponctuations, vis-à-vis d’un homme et d’un pays qui leur permettent de s’exprimer à travers la musique. « Il y a une totale liberté de création et d’expression, plus aucun tabou politique.
Nous avons réussi notre démocratisation depuis 1991, date à laquelle les parlementaires à vie ont été obligés de prendre leur retraite.
Tout le monde y compris la Grande Chine sait que Taiwan existe. Nous avons investi 200 milliards de US $ en Chine avec près d’un million de femmes et d’hommes d’affaires taiwanais sans oublier nos 35.000 étudiant(e)s sur le continent ».
L’ambassadeur est plus que fier de nous montrer que Taïwan a réussi à éviter la marginalisation, tout d’abord grâce à son informatique.
Les 10 ans de Taïwan au Festival de Cannes
En ouverture de cette soirée cannoise – mais cette fois pour le cinéma,Michel Lu l’a bien rappelé dans son introduction en montrant le dernier modèle des mini ordinateurs ASUS, le N°1 mondial.
Un secteur où, si nous fournissons les composants, les asiatiques sont encore les plus forts comme je peux l’attester avec la récupération de mes données sur un disque dur en morceaux et qui me permet de vous présenter certaines photos considérées comme perdues par des techniciens de chez nous.
Les spécialistes de la représentation de Taïwan en France ont réussi cet exploit et m’ont envoyé les données sur CD.
Pour les 10 ans de Taïwan au Festival, c’est une importante délégation qui s’est déplacée de cette île nationaliste à la Côte d’Azur. Outre les représentants en France déjà cités, ce sont les principaux responsables du cinéma taïwanais, dont la directrice de la Commission du Film Jennifer Jao, qui ont effectué le long voyage.
Un événement qui ne pouvait trouver meilleur cadre que la plage du Carlton où, dès la promenade de la Croisette, le ton était donné, la soirée promettait d’être haute en couleurs et elle le fut.
Taïwan et ses représentants sont bien décidés à ne pas s’arrêter à ce domaine de leadership informatique comme l’a confirmé Franck J.K Chen, le directeur du Département Cinéma du gouvernement de Taiwan.
Le bureau d’information a décidé de mettre plus de 600 M de US $ pour les 5 ans à venir afin de développer le cinéma, la télévision et l’industrie musicale dont 230 uniquement pour le cinéma.
Des gros moyens pour aider à la création de films de qualités artistiques et qui se vendent, pour la distribution et la promotion mais aussi pour accélérer l’éclosion de nouveaux talents.
Shu Qi et Ang Lee provoquent une belle bousculade chez les médias asiatiques.
Pendant que M. Chen évoquait son plan d’actions et sa volonté d’augmenter les co-productions internationales, ce fut soudain la ruée vers l’extérieur pour tous les photographes et télévisions asiatiques. Dans le faisceau des lumières des caméras et sous les crépitements des flashes, c’est Shu Qi, la comédienne taïwanaise et membre du jury qui venait d’arriver. Une météore qui n’avait pas perturbé les officiels mais secoué l’assistance. Même phénomène de bousculade – les discours étaient finis- lors de l’arrivée de l’un des deux réalisateurs en compétition officielle, Ang Lee.
Même si un certain nombre de critiques le considèrent comme un cinéaste « américain » car il y vit depuis dix neuf ans, lui, il a encore affirmé qu’il était bien taïwanais en proclamant qu’il se sentait heureux et chez lui dans cette « Taïwan Night Party ».
Le second, Tsai Ming-Liang était encore quelque peu « anonyme » dans le public, il n’a pas encore présenté son film «Face» (1) où l’on compte une belle brochette de comédiens français avec Laetitia Casta, Fanny Ardant et Jean-Pierre Léaud à l’affiche en compagnie de la vedette taïwanaise masculine Lee Kang-Sheng et la participation exceptionnelle de Jeanne Moreau, Nathalie Baye et Mathieu Amalric. Une co-production entre quatre pays, France, Belgique, Pays-Bas et Taïwan dont l’histoire a pour cadre Le Louvre.
Première reconnaissance internationale pour Wi Ding Ho dont le premier long métrage « Pinoy Sunday» a été retenu par la Ciné fondation de l’Atelier à Cannes.
La comédienne vedette de « Tigre et Dragon » Michelle Yeoh a crée une certaine surprise en venant participer à la fête dans une sublime robe d’un vert émeraude flamboyant, elle avait monté les marches en début de soirée.
Et si le cinéma de Taïwan était récompensé ?
Au fur et à mesure de la soirée, la température montait sous le chapiteau et même dehors, les stars étaient plus nombreuses sur l’estrade tout comme la bousculade pour prendre les clichés de ce casting de classe(2) , le tout uniquement en chinois, voire parfois en anglais.
Une nouvelle fois, les médias occidentaux et notamment français avaient fait preuve de suffisance vis-à-vis de Taiwan(3), seule notre consoeur Anne Roux de RFI parlait la langue de Molière en plus d’avoir interviewé en chinois l’ambassadeur Lu.
Tout comme pour la musique, il ne faudrait pas « snober » la production artistique de cette île, les jeunes réalisateurs comme «Doze » qui va tourner cet été « Monga », un film du nom du plus ancien quartier de Taïpei où le premier rôle sera tenu par Ruan Jing Tian, une belle « gueule » à coup sur !
N’oublions pas que Taïwan compte dans ses rangs deux réalisateurs Ang Lee et Tsai Ming-Liang qui sont en course pour la Palme ou un autre Prix et que l’une de ses comédiennes Shu Qi a été choisie pour faire partie du jury.
Imaginons que le cinéma de Taïwan reçoive quelque récompense lors de la cérémonie de dimanche, qui pourrait crier au scandale ? En tout cas et à titre personnel, la palme de la courtoisie et de la simplicité de contacts revient sans conteste à cette représentation de Taïwan.
Pensez-vous que c’est un autre hasard si- pour le première fois depuis douze ans, Taïpei a enfin siégé en tant qu’observateur à l’assemblée de l’OMS sous le sigle « Taïpei chinois », la Chine ayant jusque là opposé un veto catégorique à sa présence ?
Récemment, l’Office national du Tourisme de Taïwan est rentré dans l’Union des Offices étrangers du Tourisme en Belgique et au Luxembourg. Que de chemin parcouru depuis la création en 1974 à Paris du Centre culturel et d’Information de Taïpei pour développer les échanges.
En mai 1995 il est devenu le Bureau de la représentation de Taïwan en France qu’administre Michel Ching-Iong Lu depuis deux ans mais pour la troisième fois depuis son premier séjour en 1980. Il organise six expositions par an, fait venir des artistes taïwanais en France et participe aux grandes manifestations comme le Festival d’Avignon et le Midem. Comme le répètent les asiatiques il n’y a pas de hasard pour cette réussite, plutôt du travail et celui de Taïwan n’est pas prêt de s’arrêter, sa liberté économique et politique en dépend.
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(1) Face sera présenté en sélection officielle samedi à 19h30
. La distribution en France se fera par Rezo Films sous le titre de « Visage ».
(2) Le casting final de cette soirée ( de gauche à droite sur la photo)
Shu Qi (comédienne et membre du jury)
Michelle Yeoh (comédienne)
Ang Lee (réalisateur en compétition avec Taking Woodstock)
« Doze » ou Niu Chen-Zer (réalisateur de Monga)
Tsai Ming-Liang (réalisateur en compétition avec Face)
Lu Yi-Ching (comédienne dans Face)
Lee Lieh (productrice de Monga)
Lee Kanh-Sheng (à l’affiche de Face)
Ruan Jing-Tian (à l’affiche de Monga)
Frank J.K. Chen (Directeur Cinéma de Taïwan)
(3) Taïwan est désormais classé 24e pays par le FMI avec 286 milliards de $ de réserves en devises étrangères et devenu le point de départ obligé pour tous les artistes de la communauté chinoise, la petite île possédant les moyens techniques et humains pour une création musicale et cinématographique de grande qualité.
Pour notre région un premier accord de coopération avait été signé avec l’INRIA, en mars 2002 à Sophia-Antipolis, par le Directeur adjoint du Conseil National des Sciences de Taïwan et qui portait sur les secteurs de l’information, communication et les sciences]].