« Seul le prononcé fait foi » indique l’en-tête du discours que Christian Estrosi s’apprête à délivrer ce dimanche soir dans la grande salle de l’Acropolis. Son service de presse a bien raison de prévenir les journalistes car digressions personnelles et emportements lyriques seront légion. En réponse à un public conquis d’avance et qui l’accueille par une « ovation debout », il traverse la salle sous une musique un peu martiale, distribuant généreusement sourires et poignées de mains avant de prononcer un discours fleuve de plus de 50 minutes. Dans un registre parfois larmoyant et d’une voix aux accents étonnamment douloureux, il ègrène comme un interminable curriculum vitae ses solides références niçoises au travers d’une galerie de figures emblématiques locales. Il insiste également sur ses origines transgénérationnelles évoquant même « ses liens charnels », voire « sanguins » avec la ville. Au passage, il assume pleinement son héritage sportif qui lui valut parfois quelques quolibets dans les salons parisiens mais dont il tire devant cette assemblée une grande fierté: celle d’avoir « porté les couleurs de Nice sur sa moto » et « fait résonner » grâce à elle la « Marseillaise sur les podiums du monde entier ».
Le reste de l’allocution se révèle plus classique et répond aux normes de la stratégie politique: avec plus ou moins de subtilité, Christian Estrosi exploite chaque paragraphe de son intervention en le destinant à une corporation professionnelle précise, une catégorie sociale identifiée ou un groupe religieux ou ethnique ciblé. Traditionnelle « pêche aux voix » qui peut surprendre alors que le Président du Conseil Général est donné largement favori par de mystérieux sondages qui circulent dans la ville.
Arrive bientôt le moment tant attendu. Après avoir largement « listé » les appuis professionnels ou amicaux dont il disposait tant dans le domaine scientifique, que médical, littéraire ou académique, attisant de temps à autre le narcissisme des petites différences en fustigeant la concurrence de Marseille aux dépens de « notre ville », son discours opère un changement de ton: se posant résolument en candidat de « l’espérance » et de la « rupture », il lâche un « oui » profondément libérateur pour lui comme pour la salle qui se met à l’applaudir à tout rompre.
Vient ensuite le programme politique dont la philosophie d’ouverture constitue une décalque locale de celle revendiquée à l’échelon national par le président de la République, et si souvent critiquée au sein même des rangs de l’UMP. Comme Nicolas Sarkozy l’a réalisé dans la capitale, son fidèle allié politique entend proposer à l’opposition « d’être représentée à la Communauté d’Agglomération », voire de confier à cette dernière « la Présidence de Commissions municipales ». Non sans une certaine contradiction pour un candidat qui affirme que sa « seule étiquelle sera celle de Nice » et non « celle d’un parti » auquel il appartient, Christian Estrosi semble vouloir appliquer là encore les recettes nationales qui ont fait auprès des Francais, la bonne fortune de l’UMP. « Trois grandes conventions thématiques » seront ainsi organisées dans les deux prochains mois pour préparer « son projet ». A l’image de celles organisées rue de la Boétie, elles porteront sur « la proximité », l’attractivité », « la santé et l’environnement ».
Enfin, et pour en finir avec cette mauvaise image de Nice qui a « trop longtemps souffert des affaires qui ont touché des élus ou des fonctionnaires municipaux », Christian Estrosi défend en quelque sorte l’idée plutôt novatrice – et non dénuée de risques dans le contexte régional – d’une opération « mani pulite » à la niçoise: elle consistera à donner la Présidence de la Commission d’Appel d’Offres de la ville à l’opposition tout en désignant un Magistrat au poste d’Inspecteur Général des Services de la Ville, chargé du contrôle et de la régularité de toutes les procédures de commandes publiques.
Christian Estrosi a beau assurer qu’il ne lancera aucune attaque personnelle pendant cette campagne, il sait qu’il joue sur du velours lorsqu’il aborde les questions d’actualité qui fâchent les Niçois: « comment, s’emporte-il, faire rouler un tramway s’il n’y a pas de parking ou s’ils sont hors de prix? « . La salle exulte littéralement, tout comme elle manifestera bruyamment son enthousiasme aux mentions répétées de Jacques Médecin dont le candidat déclaré se recommande spirituellement. Cerise sur le gateau, Nice retrouverait par son élection à la Mairie, sa vocation internationale » à faire rêver le monde », en accueillant le siège de cette « Union méditerranéenne », projet lancé par Nicolas Sarkozy dès son accession à la présidence. En attendant, et plus modestement, Nice devrait abriter le prochain sommet franco-italien.
A l’issue de sa prestation, les langues se délient. Enthousiastes et convaincus rivalisent de compliments, signe d’une réelle satisfaction et d’une tonalité d’un discours en phase avec les attentes des auditeurs présents. D’autres regrettent le manque d’originalité, voire d’humour, qui aurait introduit, selon eux, une « réelle différence avec la psychorigidité de l’actuel Maire de Nice ». Des « anciens proches » de Jacques Peyrat distillent ça et là quelques remarques: « à partir du moment, expliquent-ils, où Estrosi ne revendique pas l’étiquette UMP, le problème de l’investiture va se poser autrement ». L’actuel « Sénateur-Maire, confie encore un autre interlocuteur, « croule sous les conseils de ne pas se représenter et de partir la tête haute ». Certains s’interrogent aussi sur les possibles « directions » – à gauche ou à droite – que prendra cette « ouverture » annoncée par le candidat. Christian Estrosi peut donc savourer cette première victoire: celle d’avoir, à l’image de son mentor politique parisien, réussi à faire éclater le magma politique niçois.
Photos: Didier Quillon
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