A compter du 1er juillet, une nouvelle organisation du renseignement intérieur se met en place sur l’ensemble du territoire national. Décidée par l’Elysée et avalisée non sans quelques réticences par la Ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, cette opération vise à fusionner une partie de la Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG) avec la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) dans le but de créer une seule et même Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), mieux à même de répondre directement aux menaces évoquées dans le récent « Livre blanc de la défense et de la Sécurité ».
Parallèlement, ce qui reste de l’ancienne DCRG est intégré à la Direction centrale de la Sécurité Publique sous le nom de Sous-Direction de l’Information Générale (SGIG). Elle aura plus particulièrement la charge, au niveau départemental, du suivi social, économique et institutionnel, des phénomènes concernant les dérives urbaines, du hooliganisme et de l’analyse des faits de société, en particulier, les dérives sectaires.
« Les Alpes-Maritimes sont le premier département à avoir achevé la mise en place de cette réforme », s’est félicité le Préfet Dominique Vian lors d’une conférence de presse organisée au Commissariat central de Nice le 24 juin dernier. Opérationnelle de facto depuis le 1er juin, la « déclinaison au niveau départemental » de cette nouvelle SDIG (appelée aussi SDIG mais qui signifie cette fois Service Départemental d’Information Générale) est commandée par le Commissaire principal Bruno Picard, lui-même sous les ordres du Directeur départemental de la Sécurité Publique (DDSP), le Contrôleur Général de Police Pierre-Marie Bourniquel. Il s’agit évidemment de la partie visible de cette nouvelle structure : pour des raisons de sécurité et de confidentialité, aucune information ne filtre sur les membres locaux de la DCRI. Cette dernière est davantage concernée, a commenté le Préfet, par la « lutte contre les menaces bellicistes » alors que la finalité de la SDIG demeure la « connaissance des déviances sociétales ». Tout au plus apprend-on indirectement que les agents de la DCRI seront essentiellement basés sur Nice.
Le Livre blanc de la défense a permis, selon le Préfet, de « réapprécier les menaces » après les attentats du 11 septembre, menaces désormais « multiformes » et « plus seulement d’Etat à Etat ». Relevant « l’importance » accordée au « renseignement », Dominique Vian a notamment mis l’accent sur la nécessité de disposer de « moyens offensifs et défensifs » dans les systèmes d’information afin de faire face à la cybercriminalité. Il a également mis en avant le « renseignement humain », complément indispensable du renseignement d’origine technologique. Celui-ci doit s’intéresser à « tous les événements de société qui aboutissent à des situations conflictuelles ». Cette nouvelle organisation du renseignement intérieur offre, selon lui, une « assise territoriale plus importante » ainsi qu’un « maillage plus fin » renforcé par la « structure consolidée du renseignement au niveau de la Présidence de la république ». En clair, le nouveau Conseil National du Renseignement instauré à l’Elysée sous la direction de l’Ambassadeur Bernard Bajolet, assurera la coordination des différents services et le Préfet, dans ce maillage territorial, occupe une place essentielle.
Prenant ensuite la parole, le Contrôleur Général de la Police Nationale Pierre-Marie Bourniquel, Directeur départemental de la Sécurité Publique sous l’autorité duquel se trouve le Service Départemental de l’Information Générale, a exprimé sa satisfaction sur le « renforcement et la cohérence du renseignement » issus de la réforme. « Une bonne police, a-t-il indiqué, est une police bien renseignée mais ce renseignement doit être tourné vers « l’opérationnel », ironisant au passage sur la multiplication des « rapports et des réflexions » au sujet des violences urbaines. Une pierre probable dans le jardin d’Alain Bauer, criminologue et auteur de nombreuses études sur ce thème. Qualifiant de « voyous » ceux qui cherchent à « mettre en coupe réglée des zones » et qui constituent des « leviers de violence urbaine » Pierre-Marie Bourniquel a également évoqué la « cohérence » d’un renseignement qui ne doit pas « se disperser ». Sur les trente-deux fonctionnaires de police, dont vingt-deux sont des « actifs », a-t-il précisé, ce nouveau service départemental comprend, en dehors d’un commissaire principal, sept officiers, quatorze gradés et gardiens et dix adjoints administratifs. « Je ne pourrai plus dire, a lancé le Contrôleur général, c’est la faute au RG ! ».
Lui succédant, le chef du SDIG de Nice, Bruno Picard a davantage choisi le registre de l’émotion en s’adressant à ses « troupes » qu’il a appelée à « servir loyalement » l’autorité: « Nous disons au revoir à une maison », celle des RG « dont nous n’avons pas à rougir » a-t-il expliqué. Un changement notable de ton qui pouvait ressembler à du vague à l’âme. Le Préfet en avait pourtant écarté l’idée dans ses remarques introductives en précisant que « globalement, la satisfaction prévalait pour les affectations ».
Il semble toutefois que la fusion n’ait pas fait que des heureux : en fait de fusion, certains dans les milieux de la police niçoise évoquent, plutôt discrètement il est vrai, une « OPA de la DST sur les RG » au risque de rendre encore plus « difficile le rapprochement de cultures du renseignement » déjà différentes au départ. En dépit des incontestables succès de la Direction de la Surveillance du Territoire -une dizaine de démantèlement de filières djihadistes en un an-, la répartition des nouvelles compétences suscite quelques interrogations : alors que l’islam traditionnel, comme les autres monothéismes, demeure du ressort de la SDIG, l’islam radical entre dans l’escarcelle de la DCRI. « Qu’en sera-t-il sur le terrain ? », s’interrogent ici ou là les personnels concernés ? Présentés comme la partie visible de cet « iceberg » du nouveau renseignement intérieur, certains des hommes du SDIG s’inquiètent de se voir réduits à un pur rôle d’alerte de l’autre service et se posent la question du « passage de l’information », du « transfert » et du « traitement des sources » aux agents de la DCRI. Même chose pour la lutte contre le terrorisme, domaine d’action essentiel de cette seconde structure. Comment le « maillage » instauré par la nouvelle SDIG pourra-t-il être efficace dans un domaine qui ne ressort pas, a priori, de sa compétence officielle ?
Un détail retient également l’attention : alors que les questions d’intelligence économique font désormais partie intégrante, au titre de la « protection du patrimoine », du travail en « milieu fermé » de la DCRI, ses agents se trouvent à Nice, non pas à Grasse, territorialement compétente pour le site de Sophia-antipolis. Ce dernier concentre pourtant des entreprises de haute technologie et un des pôles de compétitivité parmi les 71 sélectionnés en France et pour lesquels le Président de la république vient d’annoncer la reconduction d’une enveloppe globale de 1,5 milliards d’euros. A partir de quel stade, s’interroge-t-on, une tension syndicale ou un conflit économique au sein de l’entreprise, domaine de « connaissance » dévolue au SDIG, doivent-il être perçus comme des risques susceptibles de conduire à une fuite d’un secret technologique justifiant en conséquence de laisser la place à la lutte plus « clandestine » menée par la DCRI ?
La fusion des services de renseignement intérieur, on le voit, prendra le même temps que nécessite le développement d’une confiance dont chacun rappelle, dans les services, qu’elle se construit plus qu’elle ne se décrète. C’est peut-être l’esprit dans lequel le Commissaire principal Bruno Picard a, d’une manière finement énigmatique, conclu son intervention : « Nous allons continuer à être ce que nous étions…autrement ».