Depuis, des mots se sont écrits, des positions ont été prises et tout cela sur une scène politique qui de plus se veut présidentielle. François Bayrou demande un nouveau procés, Nicolas Sarkozy est à la base de l’interpellation de l’écrivain des uns ou terroriste des autres et Ségolène Royal a « délicatement botté en touche » alors que son compagnon François Hollande était l’un des premiers à rendre visite à Battisti lors de son incarcération en France.
Côté coulisse pour certains et show bizz pour les autres, on trouve les défenseurs du premier jour avec Fred Vargas et Bernard Henri Levy qui continuent le combat initié lors de la première arrestation suite à le demande d’extradition d’un gouvernement transalpin qui depuis a changé de famille politique et qui se trouve bien embêté avec ce cadeau empoisonné de ses voisins français.
Nice Premium a donc demandé à Me Clerc de nous donner son point de vue, évidemment neutre, sur l’ensemble des faits et possibilités qui pourraient naître de cette affaire qui divise l’opinion.
Nice Premium : Maître CLERC, pouvez-vous nous donner votre éclairage juridique sur l’affaire BATTISTI ?
Me Marie-France Clerc : Monsieur Césare BATTISTI a été condamné selon la procédure italienne de contumace à la réclusion criminelle a perpétuité pour des faits d’homicides, par trois arrêts rendus respectivement en 1988 par la 1ère Cour d’assises de Milan, puis en 1990 et en 1993 par deux cours d’assises d’appel. Il a été absent aux trois procès, pour s’être enfui en 1981 et réfugié en France en 1990, suite à la promesse de François MITTERRAND de ne pas extrader les ressortissants italiens ayant participé à des actions terroristes, qui avaient renoncé à la violence.
C’est dans ce contexte que la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris, en 1991, a rejeté une première demande d’extradition formulée par l’Italie. Le 30 juin 2004, suite à un avis cette fois favorable de la Chambre de l’instruction, un décret a accordé l’extradition de Monsieur BATTISTI le 23 octobre 2004. Ce dernier a contesté la validité de ce décret, devant le Conseil d’Etat français puis la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en faisant valoir qu’il ne pourrait bénéficier d’un nouveau procès en Italie. Exilé au Brésil depuis 2004, et arrêté le 18 mars dernier, il appartient désormais à la justice brésilienne de se prononcer sur la demande d’extradition des autorités italiennes.
NP : Pourquoi une personne condamnée par contumace en Italie ne peut-elle être rejugée ?
MFC : En réalité, la législation italienne permet qu’une personne jugée par contumace puisse bénéficier d’un nouveau procès, mais seulement s’il résulte des actes que l’accusé n’a pas eu une connaissance effective de la procédure en cours et qu’il n’a pas volontairement renoncé à comparaître, et que son avocat n’a pas déjà fait appel ou opposition de la décision.
Ces dispositions résultent d’une loi du 21 février 2005, qui a élargi les conditions d’ouverture d’un nouveau procès aux condamnés par contumace, suite à plusieurs condamnations de l’Italie par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En effet, avant cette loi, un accusé qui n’avait jamais été informé de manière effective des poursuites engagées à son encontre, pouvait se voir privé d’un nouveau procès.
NP : Que vaut juridiquement la promesse de François MITTERRAND de ne jamais extrader les repentis italiens des années de plomb ?
MFC :Le Conseil d’Etat français, qui s’est prononcé dans un arrêt en date du 11 mars 2005 sur la validité du décret accordant l’extradition aux autorités italiennes de Monsieur BATTISTI, a estimé que les déclarations faites par le Président de la République le 20 avril 1985 sont dépourvues d’effet juridique. Le Conseil d’Etat a précisé, en outre, que cette promesse ne concernerait pas Monsieur BATTISTI, en rappelant que François MITTERRAND avait, à l’époque, exclu le cas des personnes reconnues coupables dans leur pays de crimes de sang.
NP : On parle d’asile politique au Brésil pour Césare BATTISTI. Pensez-vous que cela puisse être envisageable ?
MFC :Il est vrai que la convention d’extradition signée entre l’Italie et le Brésil le 17 octobre 1989 prévoit que l’extradition sera refusée, si les faits pour lesquels elle est demandée sont considérés par l’Etat requis, en l’espèce le Brésil, comme des délits politiques.
Reste à savoir si la justice brésilienne attribuera aux faits pour lesquels Monsieur BATTISTI a été condamné une qualification exclusivement politique, ce qui constituerait effectivement un obstacle à la demande d’extradition formulée par l’Italie. Il convient de préciser que la convention prévoit expressément, par ailleurs, que l’extradition ne pourra être refusée au seul motif que la personne a été condamnée par contumace.
NP : Comment se passerait cette affaire si BATTISTI était un français ayant été jugé en France ?
MFC :Dans cette hypothèse, Monsieur BATTISTI bénéficierait obligatoirement d’un nouveau procès. L’actuelle procédure de défaut criminel, issue d’une loi du 9 mars 2004, a en effet remplacé notre ancienne procédure de contumace, afin de mettre la législation française en conformité avec les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Cette loi, entrée en vigueur le 1er octobre 2004, s’applique également aux personnes condamnées par contumace avant cette date.
Quelles que soient les raisons de l’absence de l’accusé à son procès, son arrestation met à néant la condamnation par défaut, et rend obligatoire un nouveau procès. Il convient de préciser, en outre, qu’il est impossible pour l’accusé d’acquiescer à sa condamnation, quelle que soit la peine prononcée, et même si un avocat était présent pour le défendre lors des débats.
NP : Enfin, pouvez-vous décrypter les actions engagées par les avocats de Césare BATTISTI ?
MFC :Les avocats de Cesare BATTISTI ont formé, devant le Conseil d’Etat français puis devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, un recours contre le décret autorisant son extradition. Ils ont notamment fait valoir que le décret avait été pris en violation de l’article 6 de la Convention européenne, qui garantit à tout citoyen le droit à un procès équitable.
Ils ont ainsi soutenu que Monsieur BATTISTI n’avait aucune garantie de bénéficier d’un nouveau procès en Italie, alors qu’il avait été privé de la possibilité de débattre contradictoirement des accusations portées contre lui, provenant pour la plupart de repentis.
Le Conseil d’Etat en 2005, comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme cette année, ont rejeté les recours de Monsieur BATTISTI. Les deux juridictions ont en effet estimé que ce dernier avait délibérément choisi de rester en situation de fuite, qu’il s’était fait représenter par des avocats au cours des instances ayant abouti à sa condamnation, et utilisé toutes les voies de recours possibles, de sorte qu’il avait renoncé, de manière non équivoque, à son droit de comparaître à l’audience.
Toute l’équipe de Nice Premium tient à remercier pour sa collaboration :
Marie-France CLERC
Avocat au Barreau de Nice
DEA en Droit Pénal et Politique Criminelle en Europe
Correspondante de l’Observatoire International des Prisons
20, rue Gioffredo – 06000 Nice