Un de mes vieux maîtres en Sorbonne, passé à l’Orient éternel, justifiait ainsi le recours irrémédiable à l’histoire : « Lorsque le droit est bafoué, les économies déstabilisées, les repères humains effacés, fort heureusement, il y a toujours l’histoire ». Pour ce spécialiste des conflits contemporains, l’histoire assurait à l’être son intangibilité humaine. Elle garantissait l’inscription de sa conscience dans le temps. L’incessant rappel de l’histoire, concluait-il, ne pouvait que fixer l’homme dans une finalité perfectible. Maintiendrait-il cette vision optimiste aujourd’hui ?
Le 11 septembre 2001 appartient à l’histoire immédiate, pas encore sédimentée dans les profondeurs de l’esprit. Cinq ans après, aux Etats-Unis, les chairs restent à vif. Le « 9/11 », comme il est de coutume de le nommer, pourrait toutefois ne pas résister à l’entreprise d’un mauvais génie de la modernité : la négation. Plus infamant que l’oubli. Ce ne serait pas un cas isolé. On ne compte plus dans le monde les exemples de réécriture de l’histoire pour des raisons inavouables de petite « commodité » politique. Sans s’apercevoir des risques de cette pratique à courte vue. On croit au tout début transiger sur du « symbolique » qu’on estime sans grande importance. On s’interdit de célébrer la bataille d’A………en costumes d’apparat pour maintenir une paix sociale. On se retient certes de froisser une frange de l’électorat qui, en référence à ses ancêtres et victimes, puise dans l’événement une vocation identitaire qui lui est refusée autrement. On évite de prononcer le mot de c……….. devenu soudainement chargé par quelques-uns d’un sens unique de culpabilité. On devine facilement les enjeux sous-jacents qui entourent cette dénaturation du lexique.
Mais le « symbolique » passe facilement au « réel insoutenable ». Un danger guette la Shoah comme toutes les autres grandes tragédies du monde : le « détail » du nombre vient contester la nature du fait. Sous couvert d’explication dans l’après-coup, on relativise, voire on réécrit. En fait, la technique ne vaut que pour les vieux films. Pour l’histoire, la « remasterisation » sert souvent de prétexte à une aseptisation. On ne devrait plus, dans ces conditions, s’étonner des mouvements qui tendent à nier des événements dont l’horreur le dispute pourtant à l’irréfutable. Après tout, le déni vient au secours de la douleur : on aimerait tellement que ces moments de l’histoire n’eussent jamais eu lieu.
En dépit des terribles images qui accompagneront la commémoration de cette date, il est à craindre que le 11 septembre ne connaisse un jour le même sort. La haine recèle mille stratagèmes pour retourner sur l’autre la responsabilité et faire de la victime un bourreau. Quelles que puissent être les réflexions fournies a posteriori sur les attentats de New York, quelles que soient les critiques, parfois justifiées, sur les réponses apportées par l’Administration américaine, n’oublions pas que dans certains endroits du monde, on a applaudi et fêté ce 11 septembre 2001.