Les faits sont têtus. Les responsables de la planète ont beau multiplier le rythme des réunions d’urgence, enchaîner la tenue de sommets et peaufiner l’organisation de rencontres internationales sur la crise financière, rien ne semble devoir stopper jusqu’à maintenant la vertigineuse descente aux enfers des bourses mondiales. Accouchement dans la douleur du Plan Paulson, réunion à l’arraché du G4 de Paris, intervention spéciale de George Bush à la télévision, organisation très médiatique d’un G7 des Ministres des finances à Washington, affichage hautement symbolique du couple franco-allemand à Colombey-Les-Deux-Eglises, convocation dominicale de l’Eurogroupe à l’Elysée, Conseil des ministres extraordinaire et prochain Conseil Européen, autant d’initiatives louables dont il faut souhaiter une influence positive non seulement sur les marchés mais également sur les esprits. Car le sentiment prévaut en effet, à l’image des propos tenus par le Directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qu’après l’ensemble des mesures prises, « tout est désormais affaire de psychologie ». Une dimension que plusieurs observations simples suffisent à étayer.
En premier lieu, les responsables politiques et financiers ont pris – tardivement il est vrai et non sans difficulté apparente – des décisions importantes dont l’annonce, contrairement aux attentes, n’a eu pour le moment aucun effet sinon celui d’accentuer les mouvements à la baisse et de renforcer les craintes sur l’effondrement du « système ». L’exemple du discours de George Bush suivi d’un nouvel effondrement de Wall Street illustre ce phénomène sans que sa fin de mandat ne puisse à elle seule servir d’argument. On peut créditer des meilleures intentions les grands argentiers de la planète mais il est indéniable que ces derniers donnent davantage le sentiment de courir après les événements que celui de les précéder. Un décalage sous forme de « longueur d’avance » pour ces derniers et qui favorise la spirale fantasmatique des anticipations négatives des marchés.
Les montants astronomiques, la quasi irréalité de ces centaines de milliards d’euros ou de dollars énoncés ici ou là, rendent ensuite difficile une préhension claire de la gravité de la situation par la majeure partie de la population. Si les petites et moyennes entreprises commencent à rencontrer les premières difficultés en terme de liquidités et de trésorerie, la masse des particuliers éprouve généralement une angoisse encore diffuse, une peur dont l’objet ne serait pas complètement identifiée, une inquiétude plus ou moins lointaine et incertaine quant aux effets concrets de cette crise sur l’économie au quotidien. Telle peut en effet être la lecture d’un sondage du 8 et 9 octobre effectué par OpinionWay pour Le Figaro et LCI selon lequel 79 % des Français « croient » en la solidité de leur banques alors que la même semaine, les titres cotés au CAC 40, dont ceux des institutions bancaires, perdaient 22% de leur valeur. On ne saurait mieux décrire, entre impossibilité du « réel » et virtualité morbide de la « toute puissance », le fossé mental qui sépare ces deux mondes.
On ne pourra, dans ces conditions, feindre l’étonnement devant les craintes exprimées par la Directrice générale de l’OMS, Margaret Chan : «Il ne faudra pas être surpris de voir plus de personnes stressées, plus de suicides et plus de désordres mentaux». Le repère principal des populations occidentales est devenu celui de l’hyperconsommation : celle où l’objet est moins celui acheté pour ses qualités intrinsèques, matérielles que celui apprécié pour les impressions subjectives qu’il procure en terme d’image, de bénéfices relationnels, voire de pure esthétique. Or les effets de la crise financières sur la crise réelle porteront effectivement sur les capacités à consommer désormais corrélées au fait de vivre. Alors que l’ONU invite à « célébrer » le 17 octobre prochain, la « journée internationale du refus de la pauvreté », les occidentaux seront-ils aptes à supporter le cas échéant ces nouvelles contraintes ?