Aussi dramatique qu’elle puisse apparaître pour des millions de personnes, la crise recèlerait-elle quelques effets collatéraux « heureux » ? Serait-ce une conséquence positive de son extrême médiatisation laquelle a, en quelque sorte, préparé et habitué les habitants de la planète au pire, à une sorte d’eschatologie de la civilisation, une « fin des temps » suffisamment annoncée, presque programmée, pour s’en prémunir ? Toujours est-il que les signes de changements humains s’accumulent pour dessiner un mouvement général de retour sur soi, une « metanoia » du XXIème siècle. Au-delà de la dimension religieuse et trop souvent doloriste associée au seul repentir, cette notion propose l’idée d’une « mutation accompagnée d’une renaissance ». Au point d’aboutir à « une transformation totale de la personnalité », selon le spécialiste de l’antiquité Pierre Hadot.
Les mouvements démographiques mondiaux trahissent l’amorce de cette métamorphose : une quasi « anabase » augustinienne, une immersion -involontaire- au plus profond de soi par le franchissement d’immenses espaces géographiques. Elles rappellent l’histoire de cette retraite vers leurs terres et à travers plusieurs milliers de Km, du général Xénophon et de ses « 10 000 » mercenaires grecs, battus en 400 avant notre ère par les Perses, mais dont le courage porté par l’attachement aux valeurs essentielles de l’humain sera finalement vanté par Plutarque.
Les répliques contemporaines ne manquent pas : deux millions d’immigrés mexicains victimes de la crise sur les douze millions de Latino clandestins qui vivent aux Etats-Unis, quittent progressivement l’Amérique pour rentrer chez eux. Phénomène identique parmi les 1,86 millions de travailleurs polonais installés dans les pays de l’UE. 30% des 1,2 millions de ceux qui travaillent en Grande-Bretagne et en Irlande ont déjà manifesté auprès de Varsovie leur désir de rentrer au pays -les demandes d’inscription au retour ont été multipliées par trois depuis l’année passée- au risque de faire augmenter un taux de chômage qui était redescendu de 24% en 2004 à moins de 10% en 2007. La République tchèque va, quant à elle, offrir un billet d’avion et la somme de 500 euros aux travailleurs immigrés qui auraient perdu leur emploi depuis le début de la crise et sont volontaires pour revenir dans leur pays d’origine. Récemment, l’adoption d’un plan gouvernemental en Espagne vise à encourager sur la base du volontariat, le départ 100 000 personnes, principalement Marocains et Equatoriens. S’ils acceptent de quitter la péninsule ibérique pendant trois ans, ces derniers pourraient recevoir l’intégralité d’indemnités de chômage en deux versements : le premier de 40%, avant le départ, et le deuxième de 60%, une fois regagné leur pays. Tendance similaire mais d’une tout autre ampleur en Chine dont 15, 3 % du nombre total des travailleurs migrants, soit 20 millions de personnes, sont contraints de rentrer dans leur province d’origine par manque de travail dans les grandes villes. De Doubaï, où la bulle spéculative foncière a éclaté -en augmentation de 43% au premier trimestre 2008, le prix de la pierre s’est effondré de 23% depuis septembre- et où la bourse a chuté de 74% en huit mois, des milliers de Libanais regagnent le pays du cèdre, certains en abandonnant sur le parking de l’aéroport, leur voiture dont ils ne peuvent plus payer les traites. Les Etats ont beau se réunir en G7 ou en G20, rejeter publiquement tout « protectionnisme », ce sont des « plans nationaux » de relance qui se succèdent. Retour sur soi porteur d’espoir et non repli teinté d’exclusion, faut-il espérer.
Quant à nos compatriotes, les « changements intérieurs » s’opèrent : l’hyperconsommation n’a plus la cote : le marketing sensoriel construit sur le « plaisir » se délite, remplacé par une créativité fondée sur le critère de la « santé ». L’on contraint en quelque sorte son désir à séparer le bon grain de l’ivraie : il paraît que les ventes de cosmétiques féminins chutent, que le « mode de vie des Français est en train de changer ». Ces derniers « dédaignent les produits trop sophistiqués », trop « bling bling » au point d’annoncer la mort du gadget. En témoigne le succès des expositions culturelles, moyen d’instaurer et de vivre un rapport intimiste et libre avec son imaginaire. De nouvelles solidarités apparaissent : « on n’a jamais tant parlé que pendant les coupures d’électricité » a-t-on entendu ici ou là dans des familles plongées durant plusieurs heures dans l’obscurité. La lumière dans le noir en quelque sorte.
Nécessité fait loi. Assisterait-on à un décentrement de la civilisation, à un « pas de côté » salutaire induit par la crise et destiné à retrouver le « sens » perdu de notre humanité? Si ne s’y associaient pas tant de souffrances, on pourrait se satisfaire et dire : il était temps.