Les témoignages sont nombreux. Par surcroît édifiants. Chargés d’instruire les douze millions d’élèves qui ont entamé, jeudi 2 septembre, une nouvelle année scolaire, les quelque 850 000 enseignants s’épanchent dans la presse sur les conditions -psychologiques- d’exercice de leur métier. Aucun d’entre eux ne remet certes en cause son acquis intellectuel. A raison, la profession se sent généralement bien armée pour chacune des matières à enseigner. C’est ailleurs que le bât blesse. Entendons les: « personne ne nous a jamais appris à gérer un groupe de 35 adolescents » écrit un jeune professeur. « La réalité dans les lycées et collèges est totalement déconnectée de celle de ces concours d’excellence », regrette un second. « Je n’ai pas la moindre idée de la réalité d’une classe ! » avoue un troisième. « Comment réagir vis-à-vis des élèves si personne n’est là pour m’aider ? » s’interroge un autre tandis qu’un de ses collègues imagine son premier cours: « tel le gladiateur, sans filet, face aux fauves ». Un dernier se lamente: « qui va s’occuper de nous ? ».
On l’aura compris: angoissés face à leurs nouvelles responsabilités, ces enseignants reconnaissent mezza voce leur impréparation psychique. Mais pourquoi cette anxiété alors que leurs connaissances dans les disciplines, dûment sanctionnées par un diplôme et une formation, devraient logiquement les tenir à l’écart d’une telle crainte? Ce qui se joue dans ces plaintes ne concerne pas le cognitif mais l’affectif. L’assurance du savoir à transmettre ne garantit pas le fait de transmettre le savoir. Elle ne met pas les professeurs à l’abri d’autres défis: celles de leur « savoir insu » susceptible, s’ils n’ont pas suffisamment réglé cette dimension de leur histoire individuelle et familiale, de les rendre vulnérables lorsqu’ils se trouvent confrontés aux émotions et autres motions pulsionnelles désirantes -agressivité verbale, physique ou comportement ouvertement séducteur qui sont les deux faces d’une même souffrance- de leurs élèves.
Deux institutions dispensent déjà dans leur cursus une préparation psychologique : la Justice et l’Eglise recourent désormais à des professionnels de la psyché pour leurs jeunes recrues. Il ne s’agit pas seulement d’éviter la réplique douloureuse de l’affaire d’Outreau pour la première et les scandales de pédophilie pour la seconde. Il s’agit avant tout d’initier et de nourrir une prise de conscience sur le fait que certains épisodes de leurs parcours intimes sont à même de les déstabiliser s’ils rencontrent en écho ou en reflet le mal-être identique d’un étudiant. A force, sous couvert d’évaluation, d’inviter à prendre ses distances avec l’émotion, celle-ci opère parfois un retour spectaculaire de son refoulé.
A leur demande, les « jeunes profs » posent la question d’un « tuteur », un enseignant plus expérimenté chargé de les suivre et de les conseiller au début de leur carrière. En psychanalyse, les « superviseurs » remplissent cette fonction. Depuis la rentrée, plusieurs organismes privés proposent ainsi des stages pour aider les jeunes enseignants à «prendre en main» leurs classes. De deux à cinq jours, ces « séances de coaching » prétendent les rassurer un peu sur leur capacité à gérer ces dernières. Un pis-aller. Ceux qui doivent tenir la main des plus jeunes réclament avec lucidité le bras secourable des plus anciens. On ne saurait les en blâmer. Encore moins les en priver.