A ceux qui lui réclamaient, pour la nouvelle « phase » de son mandat, une présidentialisation accrue de son image, Nicolas Sarkozy a amplement répondu par son discours de Cherbourg du 21 mars dernier. A l’occasion du lancement du SNLE « le Terrible », le chef de l’Etat a entièrement assumé son rôle « clef de voûte » de la dissuasion française. Insistant sur les finalités fondamentales de cette dernière, « l’indépendance nationale » et « l’autonomie de décision », rappelant sa posture « strictement défensive », il aura même repris à son compte la philosophie de la formule mitterrandienne – « la dissuasion c’est moi » – sur la nécessité d’une appréciation souveraine et réduite à un seul décideur du moment ultime : moyen d’écarter tout doute chez un agresseur éventuel sur la détermination française à exercer ses capacités de représailles. Au point également de regretter, en tant que chef des armées, de ne pas – encore- pouvoir venir personnellement livrer aux parlementaires, les conclusions du futur Livre Blanc de la défense.
Dans son retour pur et dur à l’orthodoxie nucléaire, le chef de l’Etat n’en a pas moins lancé quatre axes de réflexion qui témoignent de ses fermes certitudes sur le sujet : Evolution, tout d’abord, du Livre Blanc de la défense, intégrant une « sécurité » et des « intérêts nationaux » désormais susceptibles, selon le Président, de « se jouer loin de nos frontières ». Une notion, ensuite, « d’avertissement nucléaire » destiné à « rétablir la dissuasion » pour des agresseurs potentiels qui se « méprendraient sur la détermination » de la France. Des « capacités », par ailleurs, de « défense anti-missiles » dont l’hexagone, a encore expliqué Nicolas Sarkozy en employant le conditionnel, « pourrait » se doter comme « utile complément à la dissuasion ». Enfin, et alors que la France se prépare à la présidence tournante de l’Europe en juillet prochain, l’ouverture d’un dialogue avec les « pays européens qui le souhaitent » pour examiner une extension du rôle de cette force dont la « seule existence » – la dissuasion par constat chère à un ancien Général – contribue « de facto » à la sécurité européenne. Au passage, le chef de l’Etat a rappelé que la France et la Grande-Bretagne partageaient un certain nombre d’intérêts vitaux.
Ce solide recadrage, si l’on ose dire, du « cœur en fusion » de la doctrine nucléaire englobe néanmoins une grille de menaces nouvelles et élargies « aux vulnérabilités » que des agresseurs à « l’imagination sans limite » seraient tentés d’exploiter, voire à ceux qui « violent les normes internationales ». On ne peut que louer a priori la volonté de Nicolas Sarkozy d’enrichir avec tant d’exigences le catalogue des sujets – jamais exhaustif – liés à la défense et la sécurité de la nation. Inclure autant de clauses avantageuses dans ce contrat « d’assurance-vie » passé avec les Français cadre pourtant mal – pour filer la métaphore jusqu’au bout – avec les conditions de bonne santé représentées par la mollesse récurrente de notre diplomatie. Pire, elles comportent le risque de réduire la portée de la stratégie déclaratoire du Président de la République, partie intégrante de l’indispensable nébuleuse dissuasive. Force est en effet de constater que pour l’Afrique ou la Chine par exemple, la France fait plutôt preuve – usons d’une litote – d’une rare modération. La façon avec laquelle les autorités du Tchad ignorent les appels pressants de Paris au respect des droits de l’opposition politique dans le pays, l’absence de pressions destinées à contraindre la Syrie à trouver une solution dans la crise libanaise, et, surtout, la timidité de la réaction française à la sanglante répression des moines tibétains par les forces chinoises créent le sentiment d’un découplage entre la puissance réaffirmée de notre outil militaire et la prudence inquiète de notre action diplomatique. Avec le risque, pour parler clair, d’une redoutable ambivalence entre l’impossibilité du trop et la vacuité du pas assez.
L’impulsion forte donnée à la modernisation de notre défense par le chef de l’Etat doit impérativement s’accompagner d’une diplomatie tout aussi sourcilleuse. La crédibilité de la première n’ira pas sans celle de la seconde.