L’hommage rendu dans un Lied par Franz Schubert « An die Musik » (A la Musique) peut également être adressé au violoncelliste russe récemment disparu Mstislav Rostropovitch. Ce n’est pas la moindre des ironies de l’histoire que d’entendre le Président russe Vladimir Poutine célébrer l’artiste et ne pas tarir d’éloges sur son œuvre. En Russie soviétique, la musique a toujours dû livrer une bataille opiniâtre pour défendre sa liberté créatrice et ruser dans les partitions pour se faire le porte-parole des opprimés du régime. L’artiste sans frontière que fut Rostropovitch connut, après une gloire initiale, les pires affres de l’idéologie stalinienne : son amitié avec l’écrivain dissident Alexandre Soljenitsyne, la lettre ouverte qu’il adressa en 1970 à Brejnev pour protester contre les restrictions à la liberté culturelle le forcèrent à s’exiler avec toute sa famille aux Etats-Unis, puis en France.
Son histoire russe n’a d’égale que celle de Dimitri Chostakovitch dont la carrière mouvementée fit alterner consécrations et répressions par les autorités de Moscou. Le pianiste et compositeur parvint néanmoins à exploiter les subtilités musicales de la symphonie pour exprimer ses opinions les plus personnelles, loin du conformisme politique de l’époque : son second opéra qui raconte l’assassinat présenté comme légitime d’un tyran déplut à Staline qui le fit condamner par l’Union des compositeurs. Le Maestro persévérant réitéra en 1943 avec la Huitième de ses symphonies mettant en avant les tragédies subies par le peuple pendant la seconde guerre mondiale, mélodies suggérant des tableaux humains bien éloignés des présentations officielles sur les exploits de la « Grande Guerre Patriotique ». En dépit des risques encourus, il récidiva encore en 1945 avec la Neuvième Symphonie dont les passages musicaux empreints de « grotesque » cadraient mal avec le projet « grandiose » destiné à vanter les gloires du « réalisme socialiste ». Il pût ainsi rendre la monnaie de sa pièce aux hiérarques du Kremlin qui n’hésitèrent pas à exercer des pressions sur son fils Maxime pour obliger ce dernier à le renier publiquement.
On pourrait également citer le compositeur germano-autrichien Hanns Eisler, premier élève de Schönberg, qui s’engagea dans une musique résolument politique. Sa « Deutsche Sinfonie », dont il débuta la composition en 1935, dénonçait vigoureusement la montée du nazisme et en annonçait avec prémonition toutes les horreurs. Elle devait à ce titre recevoir l’appellation « Symphonie des camps de concentration ».
Fort heureusement, on se souviendra encore longtemps de l’image de Rostropovitch au pied de la frontière chancelante de Berlin-Est jouant une suite de Bach, un soir de novembre 1989. La liberté comme la musique ne connaissent pas de mur, l’oreille n’aura jamais de paupière.