« Tout ce que nous avions tellement attendu durant les années 90 se réalise aujourd’hui ». Cette petite phrase prononcée tout récemment par le nouveau président russe Dmitri Medvedev ne concerne pas un quelconque coup de maître politique de la Fédération de Russie dans le monde. Elle ne célèbre pas le report des candidatures de la Georgie et de l’Ukraine à leur entrée dans l’Otan. Elle ne pavoise pas sur l’arrivée des renforts issus des troupes d’élites en Abkhazie et destinés à empêcher toute reprise de ce territoire séparatiste par l’armée voisine de Tbilissi. Rien à voir non plus avec les commentaires accompagnant le succès invérifiable d’un tir de missile « capable de surpasser tout système de défense antimissile présent ou à venir » ou l’annonce qu’un sous-marin russe soit parvenu à « planter le drapeau de la mère patrie par 4000 mètres de fond au pôle nord ».
Rien de tout cela. Ces derniers temps, les exploits russes sont essentiellement sportifs… et presque pas politiques !
Le 14 mai dernier, le Zénith, emblématique club de football de Saint-Pétersbourg, remporte la coupe de l’UEFA en battant les Glasgow Rangers. Aussitôt les joueurs dignement fêtés dans la capitale du bord de la Baltique, sont également invités à Moscou pour être reçus par le chef du Kremlin qui formule le petit compliment énoncé précédemment, semblant considérer que leur victoire vient confirmer celle du pouvoir institutionnel comme au bon vieux temps du régime soviétique. Cinq jours plus tard, l’équipe nationale de hockey sur glace bat celle du Canada et conquiert le titre de champion du monde dans la discipline. Une victoire d’autant plus savourée qu’elle était attendue « non pas depuis trois mais quinze ans », selon le journal Gazeta.ru cité par « Courrier International ». Une victoire qui contribue au « prestige de la Russie » où la popularité de ce sport dépasse celle du ballon rond.
Et comme un vieux dicton russe affirme que « les Dieux aiment trois », la Russie gagne pour la première fois le concours de l’Eurovision par 272 points acquis par le « chanteur pop Dima Bilan » et sa chanson « Believe » dont seul le titre reste compréhensible pour le profane. Rien de politique là non plus même si la plupart des pays de l’ex-Union soviétique ont voté pour le candidat de la Fédération. Le Kremlin qui soutient la Serbie, pays hôte de la manifestation, dans son combat pour revenir sur la reconnaissance internationale du Kosovo, ne s’y est pas trompé : dans un message de félicitations adressé au chanteur, Vladimir Poutine, nouveau premier Ministre a assuré qu’il ne s’agissait pas « uniquement d’un succès personnel pour Dima Bilan mais aussi d’un triomphe de plus pour toute la Russie ». De son côté et pour n’être pas en reste vis-à-vis de son ancien mentor, Dmitri Medvedev a appelé le chanteur pour le féliciter et s’est dit « sûr que le concours Eurovision 2009 se tiendra en Russie au plus haut niveau ».
On comprendrait aisément ces déclarations enflammées de la part d’un pays plus modeste et pour lequel ces prouesses sportives ou artistiques viendraient compenser « le manque à être » international et appelleraient de la part d’autrui une pressante reconnaissance narcissique. En dépit de sa croissance, de son dynamisme économique et de son statut retrouvé de grande puissance, malgré le choix de Sotchi pour l’organisaiton des jeux olympiques d’hiver en 2014, rien ne semble parvenir à réduire l’éternel et énigmatique complexe russe. Vis-à-vis de l’Occident mais avant tout, et comme tout complexe, à l’égard d’elle-même.