Il paraît que le 14 juillet est le jour de la Fête Nationale. Symbole de cohésion et de rassemblement du peuple français autour de principes qui forgent l’essence même de la Nation. Date de commémoration d’une journée plus que bicentenaire où une célèbre prison parisienne se vide, où des opposants injustement condamnés pour leurs opinions recouvrent la liberté et où le droit à l’expression de ses idées devient l’une des clefs fondamentale de la vie politique. Nul doute que le président syrien, invité cette année à la tribune officielle du défilé, savourera secrètement ce bref rappel historique.
Les plus intransigeants rétorqueront que Bachar El Assad ne dépare pas dans ce parterre de chefs d’Etat étrangers qui, réunis à Paris pour le lancement de l’Union de la Méditerranée, ne sont pas des parangons de vertu démocratique. Mais les autres possèdent au moins le mérite, si l’on ose dire, de laver leur linge sale en famille. Certes, un moindre mal. En digne héritier de son père, le régime dictatorial de Bachar Al Assad a poursuivi l’occupation de l’état voisin du Liban, y a perpétré surveillance, arrestations arbitraires, violences et assassinats politiques à l’encontre de tous ceux qui, journalistes comme écrivains, militants comme dirigeants, dénonçaient ou tentaient de le faire, les exactions de Damas. Indirectement, un ambassadeur de France et des soldats d’un contingent français en furent également les victimes.
Même si le pouvoir à Damas a donné aux puissances occidentales un gage en acceptant, à Doha, la désignation du Général Michel Sleiman à la présidence du Liban, n’importe quel spécialiste de la région savait que c’était pour mieux ralentir ensuite, et sans apparaître au premier plan, le second round des négociations : la formation du gouvernement de Fouad Siniora. Ce pouvoir ne saurait non plus, il faut l’espérer, se prévaloir du « nettoyage » drastique intervenu depuis deux ans dans son entourage sécuritaire. Entre mise à l’écart et élimination physique des personnes susceptibles d’être incriminées dans l’attentat contre Rafic Hariri, celui-ci fait plutôt froid dans le dos. Donner aussi précocement qu’intégralement quitus au président Assad relève d’une méconnaissance confondante de la stratégie syrienne. Cela revient également à ignorer, sans doute en raison d’une logique de précipitation et d’exagération, les ressources offertes par la différence entre le dialogue, la main tendue et le fait de gratifier par un geste fort un hôte pas encore complètement recommandable. Tout ce qui est excessif, disait Talleyrand, est insignifiant.
Partagés entre l’incrédulité teintée d’ironie et la volonté d’aller manifester devant l’ambassade de France, les Libanais ne manquent pas de s’interroger sur l’ambivalence et le tempo d’une diplomatie où l’on compatit le samedi avec la victime avant, le dimanche, d’honorer le bourreau. Ils nous invitent également à méditer la substance et les enjeux d’une parole ou d’une promesse, qu’elle intervienne au palais présidentiel de Baabda ou dans les locaux d’une usine de la province française. Quelque embarras que cette idée suggère aux partisans inconditionnels de celui qui les prononce, on ne saurait blâmer nos amis levantins de nous en faire part. En Irlande aussi, et même en le regrettant, d’autres se sont chargés à leur manière de sanctionner une voix devenue inaudible.
Favoriser la reprise d’un dialogue entre des pays en conflit demeure un objectif aussi ambitieux que louable. Encore convient-il de prendre garde au tropisme psychologique qui, au nom d’une obsession de la réussite, consiste à accorder davantage à ceux qui s’opposent qu’à ceux qui acceptent. Plagions Sénèque en guise de conclusion : il en va de la démocratie comme de la dictature : à force de fréquenter l’une ou l’autre, on finit par en prendre le goût.