Le 24ème sommet France-Afrique de Cannes a fourni l’occasion aux principales organisations de journalistes de rappeler les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse dans le monde. Dans les dictatures étrangères, faut-il le répéter, des journalistes audacieux connaissent la répression et l’emprisonnement. Lorsque ce n’est tout simplement pas la mort qui, de la Russie au Liban, les attend au bout de leurs dérangeantes investigations. Si la France se trouve fort heureusement hors d’atteinte de ces dangers, il devient néanmoins difficile de ne pas s’inquiéter de formes plus insidieuses de restrictions sur le métier d’informer. Le procès récent intenté à Charlie Hebdo à propos des « caricatures danoises » a largement montré une fragilisation de cette liberté. Lorsque ce risque intervient de surcroît sans influence étrangère, qu’il ressort strictement du domaine franco-français, il convient vivement de réagir.
Au-delà de l’étonnement, l’éviction du journaliste Alain Duhamel des émissions électorales de France 2 et de RTL a de quoi susciter de légitimes interrogations. Que peut-on reprocher à ce spécialiste reconnu des débats politiques ? D’avoir tenu des propos dans une enceinte universitaire ? Dans ces lieux protégés des délits de la pensée – du moins en théorie – ne serait-il plus désormais concevable d’exprimer une opinion politique, d’expliciter un engagement ou une conviction ? La longue expérience de ce professionnel – à son âge, ce ne sont pas ses premières élections et il a déjà dû voter plus d’une fois ! – n’offrait-elle pas les garanties d’impartialité requises à bon droit par les organes de presse qui l’emploient ?
Sa mise à l’écart temporaire – qui s’accompagne de celles paradoxalement moins médiatisées de présentatrices de journaux télévisés – reflète malheureusement la tendance imposée depuis quelques années à l’aseptisation des échanges politiques. Produit du « politiquement correct » ou état léthargique d’une société bloquée, toujours est-il que le fait de formuler une conviction – le mot est pourtant à la mode chez certains candidats à l’élection présidentielle – devient une forme de mauvaise manière, un reliquat d’une éducation dépassée et dont l’expression serait à bannir. Le moment fort dans une nation réside pourtant dans une élection présidentielle. Suffrage direct et universel oblige. Celle-ci devrait offrir, à l’image de ceux tenus sur l’Europe au moment du referendum, une opportunité de débats multiples et sans contrainte en vue de définir les grands choix de société. Au lieu de cela, on nous cantonne dans des émissions coachées, « castées », aux images minutieusement et savamment élaborées. L’organisation des émissions électorales à la télévision procure souvent le sentiment ennuyeux de pesanteur, d’un ton compassé que les spécialistes audiovisuels expliquent aisément par la complexité du maniement de l’image, susceptible dans ses effets, de produire le meilleur comme le pire. Bref, s’il devait y avoir un moment pour donner la parole aux « Duhamel » de tout poil, ce serait bien maintenant. La démocratie, expliquait Condorcet, n’est-elle pas un débat contradictoire…avant le vote?
En attendant, l’autocensure par crainte d’éventuelles représailles suffira bientôt à dissuader ses collègues de poser la question embarrassante. Propos exagérés ? Le sont-ils vraiment lorsque 60 % des Français doutent de l’indépendance des journalistes comme le révèle un sondage sur la méfiance envers les médias réalisé récemment par La Croix-TNS-Sofres. Mais les journalistes sont-ils vraiment en cause ? Loin d’incriminer les responsables de la presse, cette enquête ne met-elle pas davantage en exergue les écarts de traitement réservés aux informations par les structures plus que par les hommes qui y participent ?
Devant la télévision – et pour cause ! – , ce sont les radios et la presse écrite qui conservent le plus la confiance de nos compatriotes. Et Internet augmente considérablement sa crédibilité de 6 % depuis l’année dernière. Phénomène logique : dans le média audiovisuel, l’organisation paranoïaque chargée de la diffusion du programme instaure un tiers médiateur, un filtre plus ou moins involontaire de l’information. Atrophié par les règles techniques du petit écran, le flux informatif se libère sur la toile par le lien direct et informel avec l’internaute. La toute puissance de l’image révèle ainsi l’ampleur de ses faiblesses.