Donnés largement favoris aux élections législatives marocaines de vendredi dernier, les islamistes du Parti de la Justice et du Développement n’enverront finalement, selon les premiers résultats obtenus, que quelques députés supplémentaires au prochain Parlement. Autorisé cette fois-ci à présenter des candidats sur l’ensemble du territoire, le PJD paie probablement le prix d’un savant découpage des circonscriptions et d’un système électoral particulièrement bien verrouillé. Deux éléments à même de favoriser l’émiettement des voix et l’obligation de coalitions parlementaires hasardeuses, le tout sous la férule d’un souverain libre, de par la Constitution, de nommer un Premier ministre indépendamment des résultats du vote. A l’image d’élections encore plus « tenues » dans d’autres Etats de cette région afin d’éviter, selon les régimes en place, le danger de « raz-de-marée islamistes », on ne sait trop s’il faut se réjouir ou se lamenter des restrictions et des ouvertures en demi-teinte de cette politique marocaine.
Car l’organisation de ce scrutin ne saurait justifier à elle seule la très modeste progression du PJD. L’abstention record, presque 60 %, indique également le peu d’espoir suscité, au sein de la population la plus défavorisée, par les promesses sociales et économiques de cette formation politico-religieuse. Il est vrai que ses principaux responsables, déjà aux commandes de municipalités importantes, affichent davantage un souci de légitimité politique au risque de perdre le soutien d’une base plus radicale et plus prompte, en conséquence, à rejoindre les rangs des extrémistes dont les actes d’une rare violence frappèrent Casablanca en mai 2003.
De ce point de vue, le royaume chérifien ne constitue pas un exemple isolé. Les deux derniers attentats commis en Algérie viennent douloureusement rappeler les effets également limités de la politique de réconciliation et d’ouverture lancée par le Président Bouteflika et destinée à récupérer d’anciens islamistes, empêchés « manu militari » d’accéder au pouvoir au début des années 90. Les tentatives, fort heureusement déjouées, d’attentats au Danemark et en Allemagne où des « convertis » récents sont invités à devenir des martyrs, la réapparition d’Oussama Ben Laden à quelques jours du sixième anniversaire du 11 septembre 2001 sont autant d’éléments qui confirment que l’islamisme radical n’entend plus se laisser séduire – ni réduire – par la conquête légale du pouvoir. A fortiori s’il devait se contenter d’un simple partage des prérogatives de ce dernier avec un régime déjà en place.
Dans ce contexte régional, le déroulement de l’expérience turque revêt une signification essentielle : la quasi-intégralité des leviers étatiques se trouve désormais entre les mains de l’AKP, un autre « Parti de la Justice et du Développement ». Des conditions satisfaisantes de son exercice découlera peut-être une variante de l’islamisme à même de réconcilier les conservateurs les plus religieux avec les principes les plus exigeants des démocraties contemporaines.