Un bon marin tient en horreur deux situations: en premier lieu, la bonace, cette absence de vent qui rend toute navigation impossible. Pénible attente qui ronge aussi le moral des hommes d’équipage. Il abhorre ensuite la tempête qui échappe à tout contrôle. Il peut toutefois arriver au vieux loup de mer de préférer la seconde option à la première. Elle lui procure, à ses risques et périls, la sensation de recouvrer sa capacité à manoeuvrer. Les plus audacieux appellent également houle et intempéries de leurs voeux lorsque croît le risque d’une mutinerie à bord. Le « méchant grain » qui menace la solidité de l’embarcation, détourne la colère des matelots, mobilise leurs énergies et les rassemble derrière leur capitaine.
Après l’annonce estivale de son virage sécuritaire, Nicolas Sarkozy donne depuis plusieurs semaines le sentiment de multiplier -volontairement?- les occurrences de bourrasques. Le chef de l’Etat aurait-il choisi de manier la barre par gros temps afin de contrer la révolte? Il est vrai que le climat politique intérieur s’est singulièrement dégradé avec les révélations en cascade de l’affaire Woerth-Bettencourt: celles-ci renforcent, en période de crise, la double impression d’inégalité et d’impunité d’une classe politique toujours plus enkystée sur ses profits particuliers aux dépens de ceux désignés par l’intérêt général. Ensuite, l’échéance pourtant lointaine des présidentielles a d’ores et déjà déclenché le chronomètre électoral en nourrissant au sein même de l’UMP des velléités d’insubordination. Enfin, alors que le chef de l’Etat continue de perdre des points dans les sondages, le remaniement attendu du Gouvernement devient un véritable casse-tête où la personnalité appréciée du Premier Ministre contrarie la vertu politiquement apaisante d’un changement à Matignon. C’est dire que les arguments en faveur d’une martingale présidentielle ne manquent pas.
De même qu’elle est pratiquée avec une radicalité identique dans d’autres pays de l’Union européenne sans susciter la moindre critique, la politique d’expulsion des campements de Roms existe depuis fort longtemps dans l’Hexagone. C’est bien la volonté de l’Elysée de lui donner un affichage politique qui a initié le cataclysme. Les récents « clashes » entre Nicolas Sarkozy et de hauts responsables européens lors du dernier sommet de Bruxelles pourraient, eux aussi, ne pas échapper à cette ambitieuse stratégie. Les Français détestent l’euro, indiquait cette semaine un sondage. De l’euro à l’Europe, le pas est infime. Et avantageux auprès de l’opinion publique.
Sans faire par ailleurs un procès d’intention, un « coup de tabac » dans l’Hexagone ne desservirait pas non plus la logique élyséenne. En l’espace d’une semaine, Bernard Squarcini a accordé deux interviews au JDD et au Monde dans lesquelles il réitère l’idée de l’imminence d’une attaque terroriste « majeure » contre la France. Connu pour son professionnalisme, il est peu probable que le Directeur Central du Renseignement Intérieur s’autorise de lui-même à rendre publiques d’aussi alarmantes conclusions. La menace islamiste existe -l’enlèvement d’expatriés nationaux au Niger l’atteste- et le chiffre avancé par le patron du contre-espionnage français sur une « moyenne de deux attentats déjoués par an en France par ses services » est certainement en dessous de la réalité. Mais ne serait-ce pas au Ministre de l’intérieur d’en témoigner? L’intervention au grand jour d’un spécialiste de l’ombre ne cherche t-elle pas à en dramatiser artificiellement les effets?
Et que dire si, demain, une guerre éclate au Moyen-Orient alors que tous les clignotants sont au rouge au Liban à mesure qu’approche la publication de l’acte d’accusation du Tribunal Spécial chargé de juger les assassins de Rafic Hariri, que la Russie accepte de vendre des missiles de croisières à la Syrie et que l’Iran ne cède toujours pas aux injonctions de la communauté internationale sur l’enrichissement de son uranium? Faudra-t-il, à l’image d’un Président du Conseil de la troisième République au lendemain du conflit de 1918, reconnaître « ne pas l’avoir souhaité mais l’avoir vu venir avec une secrète espérance? ».