Le « monde démocratique » donne parfois le curieux sentiment de mieux s’arranger avec les dictateurs de la planète encore en vie qu’avec ceux exécutés par la justice de leur pays. De très nombreuses voies se sont ainsi fait entendre pour dénoncer la pendaison de l’ancien président iraquien. Elles demeurent, pour certaines d’entre elles, beaucoup plus discrètes avec les tyrans en exercice. Après tout l’ancien président du Turkménistan, Saparmourad Niazov, tristement connu pour se faire appeler le « père des Turkmènes », est mort sagement dans son lit. Les prochaines élections chargées de lui trouver un successeur excluent d’ores et déjà les membres de l’opposition démocratique réfugiés à l’étranger. Sur un autre continent, les obsèques de l’ancien général chilien Augusto Pinochet ont révélé des témoignages pour le moins inattendus de sympathie adressés à sa famille par un ancien premier Ministre britannique. D’autres dirigeants dans le monde qui enferment ou éliminent notoirement tous leurs opposants demeurent bien en vue. On s’efforce de les comprendre à défaut de les satisfaire. Des juntes militaires s’installent en Asie, des extrémismes religieux essaiment en Orient et, en Afrique, des présidents « démocratiquement élus à vie », se comportent comme autant de petits dictateurs sans que la « Communauté internationale » ne s’en émeuve véritablement. Nombre d’entre eux, il est vrai, ont été formés dans les universités ou les écoles militaires occidentales où ils ont su nouer d’utiles protections politiques. Sans parler de ceux qui dirigent des pays aux ressources énergétiques essentielles pour notre confort au quotidien et qu’il serait, dans ces conditions, malvenu de critiquer. Dans notre monde turbulent, une poigne de fer aux réactions prévisibles rassure plus qu’elle n’indispose nombre de gouvernements.
Les réactions internationales qui ont suivi l’exécution de l’ancien président iraquien Saddam Hussein ne laissent donc pas de nous interroger. Certes, on déplorera les piètres conditions de son procès au cours duquel trois de ses défenseurs directs ont été assassinés. On regrettera tout aussi bien le fait que les Kurdes et les Chi’ites, les premiers pour le massacre des habitants de Halabja et les seconds pour leur extermination systématique dans la zone des marais de Bassorah, aient été en quelque sorte privés de justice. On critiquera, à raison, l’indignité qui a imprégné la mise en oeuvre de la sentence. Mais les autorités iraquiennes qui cherchent, non sans difficulté, à renforcer la souveraineté du nouvel Etat ont pris une décision aussi risquée que courageuse. La loi prévoyait qu’après son dernier recours, le condamné devait être pendu dans les trente jours. La loi a été appliquée. On ne peut pas à la fois blâmer le gouvernement de Bagdad pour son instabilité ou sa faiblesse et, dès le premier signe venu de fermeté, s’en prendre tout aussi vivement à son action. La condamnation de l’Union européenne – mais les Européens des vingt-sept Etats membres ont-ils été seulement consultés sur ce sujet pour qu’on s’autorise à parler en leur nom ? – ou celle plus traditionnelle du Vatican reflètent des positions qui possèdent une valeur éthique. En ce sens, elles n’en demeurent pas moins aussi généralisables que des vérités d’évidence. Oui, la peine de mort doit être abolie dans le monde. Tout comme la guerre. Mais il y a loin du principe philosophique, aussi flamboyant qu’il puisse apparaître aux occidentaux, aux réalités de terrain. Il y a indiscutablement un brin d’arrogance et autant de condescendance à formuler une telle assertion et à vouloir l’appliquer dans un pays aux institutions aussi balbutiantes que fragiles.
Le Président français souhaite inscrire le principe de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution. La France prend simultanément la tête des pays qui réclament à l’ONU un moratoire universel sur la peine capitale. « Symbole fort » commente-t-on ici ou là. Il appert que l’attachement obsessionnel au symbole vise souvent à compenser – en vain – un puissant déni des réalités. Dans ce concert de récriminations, il convient de relever la réserve polie mais ferme du nouveau Secrétaire général de l’ONU qui a refusé de condamner une exécution dont le principe reste légal dans son pays d’origine. En insistant plutôt sur les crimes massifs commis par l’ancien dictateur et en mettant en avant la souveraineté de l’Iraq dans ce domaine, le sud Coréen Ban Ki-Moon a certainement pris le parti de cette réalité et de l’histoire. Nul doute que ceux qui pensent et jugent dans l’instant lui en tiendront rigueur… pour longtemps.