« Nous allons nous approprier ce débat sur l’identité nationale » tonne Ghaleb Bencheikh. A entendre ce samedi après-midi 31 octobre le Président de la Conférence mondiale des religions pour la paix lors du colloque organisé par MOSAIC, la jeune Fédération laïque des citoyens de sensibilité musulmane, le débat sur « l’identité nationale » est déjà lancé. Dans un mélange savamment dosé d’ironie et de saillies nettement plus enflammées, l’animateur de la célèbre émission religieuse dominicale consacrée à l’islam a répondu aux attentes d’une communauté musulmane, bien décidée à investir le champ des futures discussions souhaitées par le Ministre de l’intégration. Un thème que l’orateur toujours en verve a d’ailleurs explicité : une « sédimentation sur une roche mère », mais une « sédimentation consolidée par d’autres apports ». Tout en fustigeant les « hiérarques » habitués « aux buffets de petits fours dans les palais de la République » et qui « courent après les décorations, se fichant des jeunes », Ghaleb Bencheikh s’est interrogé sur les causes réelles de ce débat, percevant chez ceux qui le lancent une forme de « traumatisme » : « nous compatissons à leur état » a déclaré amusé, cet exégète reconnu du Coran sous les applaudissements nourris de la salle.
Loin de cette approche intellectuelle, l’anthropologue du fait religieux Dounia Bouzar, co-auteur avec sa fille d’un livre sur la religion dans le monde du travail (« Allah a-t-il sa place dans l’entreprise ? », Editions Albin Michel, 2009) a montré toutes les difficultés liées au management des croyances dans le secteur privé. Elle a ainsi proposé une « série de critères pour traiter les Musulmans comme les autres » sur leur lieu de travail, mentionnant au fil de sa démonstration, l’exemple du port d’un signe religieux en « relation avec l’hygiène », celui des « interdits alimentaires et de la concentration » au bureau ou celui de la « gestion des fêtes rituelles » dans l’organisation des tâches. Rejetant « à la fois la diabolisation et le laxisme, deux faces d’une même pièce », Dounia Bouzar n’en a pas moins contradictoirement reconnu la nécessité d’une administration de ces problèmes « au cas par cas ». Alors que pèse, selon elle, une « suspicion d’altérité sur l’islam », « être musulman laïc, a-t-elle ajouté, fait à la fois violence aux salafistes mais aussi à certains politiques ». Répondant à une question du public sur la violence dans les banlieues, elle a précisé que cette dernière, contrairement aux idées reçues, venait plutôt d’une « surintégration des valeurs de la république marquée par le constat des inégalités ».
Relativement peu nombreux sur les gradins du Centre Universitaire Méditerranéen, les « jeunes » ont pourtant été le principal sujet des réflexions parmi les intervenants. Ces derniers ont majoritairement dénoncé les « inégalités sociales » et les « discriminations » dont la jeunesse des banlieues serait, selon eux, la « victime ». Des jeunes appelés par Aziz Senni, Président fondateur du Fond d’investissement « Business Angels des Cités », à résoudre cette « rupture entre la banlieue et la France, créant un pays à deux vitesses ». Il a notamment proposé deux mesures : que les « entreprises situées en dehors des zones franches puissent bénéficier des mêmes dispositions fiscales si elle embauchent des jeunes en provenance de ces zones » et obliger « les banques à inscrire sur leur bilan le montant des sommes effectivement prêtées aux jeunes entreprises ». Deux propositions destinées, selon lui, à favoriser l’emploi des jeunes. « Nous ne sommes pas tous des héritiers », a-t-il expliqué dans une allusion au fils de Nicolas Sarkozy. A son image, il a par surcroît appelé cette jeunesse à « s’engager » en rappelant qu’on « a le droit de ne pas aimer la société dans laquelle on est », à la condition de ne pas rester inactifs. Et de conclure : « la France tu l’aimes ou tu la changes ».
Nettement plus modérée, l’intervention du Président de la Fédération MOSAIC sur le thème « Construisons ensemble l’avenir de nos enfants » a fait référence à la maxime électorale du président américain « Barack Hussein Obama » : « Yes we can ». Conseiller municipal dans l’équipe de Christian Estrosi, Marouane Bouloudhnine a ainsi décliné, à l’instar d’une philosophie de proximité, toute une série de thèmes, autant « d’axes d’actions qui seront mis en place par les vingt-trois bureaux régionaux de la Fédération ». Des bureaux « en cours de construction », a-t-il tenu à préciser. « S’éloigner de toute victimisation », « prendre en main notre destin », « ne pas se laisser enfermer dans des débats réducteurs sur le voile et la burqa », « se cantonner à l’espace culturel et spirituel », « mettre en avant l’exemplarité », « appeler à la modération alors que priment des logiques de radicalisation communautaire » et « exposer ses convictions dans le dialogue et non dans la violence », autant de leitmotivs afin de « devenir l’interlocuteur des institutions et des pouvoirs publics ».
Plus inattendue, reconnaissant lui-même sa « présence décolorée dans le débat », la participation du Procureur de la république de Nice sur le thème « Celui qui sait est responsable de celui qui ne sait pas » s’est révélée plus politique malgré les dénégations préliminaires de l’orateur. Ne serait-ce que par les propos introductifs suscitant une ovation particulièrement enthousiaste de la salle : « je salue bien tous les Auvergnats présents ».
Même s’il « comprend l’aspiration de ces Français de sensibilité musulmane », Eric de Montgolfier a préféré s’interroger plus largement sur les risques liés à la catégorisation des individus : « après celle des femmes et celles des homosexuels, faut-il ouvrir une nouvelle cage ? » s’est demandé le magistrat ? Il a notamment regretté que « la France n’ait aucun sens du partage », ou plutôt « un sens particulier : le cœur des villes pour les plus fortunés et la périphérie pour ceux qui dérangent ». La « justice ne pourra pas réparer les injustices de la société », a-t-il poursuivi avant de reconnaître que ces « injustices interrogent la passivité globale des citoyens de ce pays ». Mû par le sentiment que le débat sur l’identité nationale « s’ouvrait ce jour », il s’est demandé : « s’agit-il d’un cadre fixe où l’on est prié de s’inscrire » ou sinon, « de partir ? ». Cette notion d’identité nationale, Eric de Montgolfier la voit plutôt comme le « socle d’un idéal du vivre ensemble dans le respect mutuel et où chacun pourrait apporter ce qu’il a de plus profond pourvu que cela s’inscrive dans le cadre de l’intérêt général ». Tout en rappelant pour ce débat, « l’impérieuse obligation de définir la notion », il a souhaité que soit respecté « le plus essentiel dans la devise de la République, la Fraternité ». Avant de lancer dans une formule aux accents mobilisateurs : « Souvenez-vous en, sinon la République ne sera plus qu’une religion ! ».
A la clôture des travaux, Marouane Bouloudhnine a donné rendez-vous le 2 avril 2010 au Sénat pour la poursuite de la discussion avec le « Comité républicain de la Région Ile de France ». Une annonce de « timing » alors que les pouvoirs publics n’ont pas encore dévoilé l’organisation au niveau national et local de ces discussions. Et qui pose in fine une question : le gouvernement pourra-t-il prétendre demeurer l’instigateur d’un événement national qui semble d’ores et déjà lui échapper par son ampleur ?