Assurément Nicolas Sarkozy change. Il serait vain de le nier. Mais il a, semble-t-il, trop tardé à le faire et les Français, englués chaque jour davantage dans l’érosion manifeste de leur pouvoir d’achat, le lui reprochent. Selon un dernier sondage réalisé par IFOP/le Journal du Dimanche, 79% d’entre eux estiment qu’en un an de présidence, l’action du chef de l’Etat n’a pas permis d’améliorer la situation dans le pays.
Après l’image, la substance. Après la forme, le fond. Etayées sur les leçons tirées des élections municipales, la multiplication et l’accélération des réformes, prévisibles depuis leur annonce par le chef de l’Etat en janvier dernier, auraient dû servir de rebond et de moment charnière à l’action présidentielle. C’est loin d’être le cas. En dépit de leur regroupement sous l’appellation « révision générale des politiques publiques », le sentiment prévaut largement du caractère catégoriel, pour ne pas dire éparpillé, des récentes annonces gouvernementales. Défaillance dans la conception ou dans la communication, toujours est-il que les Français peinent par surcroît à s’y retrouver lorsqu’ils écoutent successivement les nombreux porte-parole, celui du Gouvernement et les trois de l’UMP, commenter chacun à leur manière et dans leur style, les décisions envisagées.
Symbole, s’il en est, de cette situation alambiquée dans laquelle se trouvent « les réformes », une édition du Monde en date du 19 avril 2008. En fait, trois symboles en un. Le premier d’entre eux, cette édition particulière puisqu’elle intervient, fait historique d’un point de vue statistique, après un deuxième jour de grève du quotidien dans la même semaine : en cause justement, les « réformes » du titre fondé par Hubert Beuve-Méry, après l’annonce par la direction du journal de la suppression de 130 postes dont 89 à la rédaction. Dans cette même édition, le Président de la République, deuxième symbole, s’exprime directement dans ses colonnes sur la nécessaire « refondation de la démocratie sociale », appelant là encore à une « réforme » du syndicalisme en s’interrogeant sur les critères de financement et de représentativité devenus, selon lui, obsolètes. Comme s’il voulait prendre les Français à témoin – et placer les syndicats en porte-à-faux – Nicolas Sarkozy mentionne ce « marché » passé dès son arrivée au pouvoir avec les forces syndicales : soit les partenaires sociaux se saisissent eux-mêmes des dossiers et négocient entre eux, soit l’Etat prend des décisions à leur place. Alors que le Président doit s’exprimer dans les prochains jours à la télévision, cet article spécifique doit-il être perçu comme la preuve supplémentaire d’une difficulté élyséenne à communiquer par les moyens habituels?
Enfin, et comme en écho à cette intervention, Le Monde publie simultanément – troisième symbole – les interventions du débat organisé conjointement le 14 avril 2008 par TNS-Sofres sur le thème « réformer la France, mission impossible ? ». D’une lecture tristement édifiante, les propos des intervenants – Jacques Attali, l’universitaire Philippe Corcuff, le Ministre Xavier Bertrand et le premier Secrétaire du PS François Hollande – montrent, sous l’apparence d’un consensus ronronnant sur la nécessité de réformer, l’infranchissable fossé entre les experts et les politiques. Ils confirment par ailleurs les doutes sur le courage d’engager les démarches nécessaires pour y parvenir. Sans parler du besoin irréductible de ces responsables politiques de se démarquer entre eux, sinon de se réfugier dans un discours politicien largement stérile. A « l’urgence de réformer » évoquée par Jacques Attali, le Ministre Xavier Bertrand tempère par les expressions « respect du temps, pédagogie et concertation ». A l’invitation de Philippe Corcuff de « mettre de l’imagination dans la politique », François Hollande répond qu’il a « mis plusieurs années à gagner la Corrèze à la gauche » s’inquiétant qu’on puisse supprimer le département.
Dans ces conditions, on ne peut que comprendre la lassitude qui gagne progressivement les Français. Quarante ans après mai 68, il faut surtout espérer qu’ils ne s’ennuient pas.