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22 novembre 2024

L’Edito du Psy – Sexualité et politique : ce que nous enseignent les « malheurs » de Frédéric Mitterrand.

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jpg_jpg_bobine2008-61.jpgFrédéric Mitterrand n’est pas n’importe qui. Et il le sait. Le neveu de l’ancien Président de la république a toutefois feint d’ignorer les risques d’un mélange des genres à l’époque moderne : celui de la sexualité et de la politique. La première parce qu’elle n’est plus seulement une affaire de corps, mais de perception psychique mêlée de récit. La seconde parce que depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, la vie privée appartient quasiment au domaine public. Explicitons l’une et l’autre.

En premier lieu, et dans nos sociétés contemporaines, la sexualité physique, présentée parfois comme une simple mécanique des fluides, ne fait presque plus l’objet d’interdits. On se félicitera, d’un côté, de ce libéralisme sans occulter, de l’autre, les ravages de l’image et leur coût psychologique. Les corps se montrent, s’offrent, se vendent -en témoigne l’augmentation de la prostitution « étudiante » en Europe- comme objet au désir de l’autre. Vaste escroquerie sur la marchandise car contrairement à l’adage juridique des biens mobiliers, en matière de corps, possession ne vaut pas droit. La sexualité, pourrait-on ajouter, reste une affaire trop sérieuse pour être confiée au seul domaine corporel.

Malgré les apparences, les violentes critiques adressées au nouveau Ministre de la culture ne portent pas sur ses actes, connus depuis la parution de son livre. Actes assumés par un être humain libre dans son ouvrage-thérapie « Mauvaise vie ». Elles concernent plutôt la relation de l’homme à son récit et les prétentions ambiguës qu’il revendique de ses expériences. Dans le genre des confessions intimes, Frédéric Mitterrand eut un illustre prédécesseur : avec ce même détachement, saint Augustin narre les jouissances de la cité, une « fournaise » où, explique le futur père de l’Eglise, « je courrais les places de Babylone, me vautrant en sa boue, comme en des nards et onguents précieux ». Au point, encore au soir de sa vie, d’être hanté dans son sommeil par des réminiscences nocturnes qui « suscitaient non seulement la délectation mais aussi le consentement et la réplique exacte des faits ». Entre-temps, le Tolle, lege avait transformé l’adolescent turbulent et l’adepte des « maisons » de Thagaste en digne et chaste Evêque d’Hippone. Si l’on s’en tient rigoureusement aux faits « incriminés », rien ne vient vraiment distinguer, avec mille cinq cents ans d’écart, l’homme des jardins de Milan de celui de la rue de Valois.

La différence vient après : l’attribution d’un maroquin ministériel ne vaut pas encore, si l’on ose dire, la grâce d’une rédemption augustinienne. Frédéric Mitterrand a fait preuve d’une singulière ambivalence dans l’usage, voire l’exploitation, de son patronyme : il ne peut pas, d’un côté, reconnaître et « surfer » sur la charge historique de ce dernier pour se féliciter de son arrivée au ministère de la culture et sur ses expériences pour justifier d’un soutien public au cinéaste Roman Polanski, et, d’un autre, accuser la presse de s’en prendre à lui pour les mêmes raisons. La psychanalyse qui jongle depuis toujours avec les questions de tyrannie familiale le sait : un nom et son histoire pèsent lourd. Mais il s’agit d’un tout.

Frédéric Mitterrand aurait dû, ensuite, se méfier de trois conséquences induites par sa nomination : en choisissant, tout d’abord, son ministre de la culture pour le nom qu’il porte, Nicolas Sarkozy pensait semer la zizanie à gauche. C’est en partie le cas. Mais sa décision place également son ministre et son gouvernement stricto sensu en porte-à-faux et jette finalement la discorde à droite. Nouvel « effet pervers » du lignage. Membre de l’équipe gouvernementale, F. Mitterrand peut par ailleurs difficilement reprocher à la presse française d’avoir amorcé une évolution -évoquer la vie privée des responsables- alors que celle-ci constitue l’une des principales ruptures élyséennes en la matière : l’affichage et la capitalisation politique de la sphère privée. Par surcroît, l’écrivain, et ancien animateur de télévision, est devenu la victime collatérale d’une stratégie présidentielle de communication fondée sur une relative dramatisation des thèmes liés à la violence et à la sexualité. Sans doute la « crise » est-elle aussi passée par là, charriant avec elle un retour à la moralité et à l’éthique, deux notions auxquelles l’esprit d’un peuple se raccroche lorsque vient à faire défaut la matérialité de certains biens.

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau le pressentait déjà : « en nous identifiant avec l’être souffrant, nous ne souffrons qu’autant que nous jugeons qu’il souffre », surtout ajoutait-il, lorsque l’autre nous transmet par la parole le récit de ses malheurs. La fabrication d’un « scandale » et la condamnation d’un « bouc émissaire » ne suivent-elles pas le même chemin ?

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