Il s’est incliné. Lentement. Avec dignité. Il a ainsi imité le président américain Barack Obama à Shanghai puis, à nouveau, lors d’une rencontre en marge du sommet sur la sécurité nucléaire de Washington. Devant l’imperturbable président chinois Hu Jintao, Nicolas Sarkozy a dû faire taire d’éventuelles résistances narcissiques. Peu importe finalement de savoir si le chef de l’Etat a pu, à cette occasion, revêtir des habits plus présidentiels qu’à l’accoutumée ou s’il s’agit d’une savante concertation diplomatique destinée à engager la Chine dans une logique de sanctions dures contre l’Iran à la prochaine réunion du Conseil de sécurité. Immortalisée par la Toile comme un cliché de Doisneau, cette gestuelle conforme des deux leaders occidentaux paraphe à la manière des médecins légistes le constat de décès : la fin du « monde d’hier », pour plagier la description élégante et fine de cette Europe agonisante, celle de l’entre-deux guerre, par l’inoubliable Stefan Zweig.
Privilégions le réalisme cru à la douloureuse nostalgie. Le centre de gravité de la planète, on le sait, s’est inexorablement déplacé vers l’Asie. Laquelle concentre l’essentiel des échanges économiques et pourrait bientôt abriter, selon un article récent de l’OCDE, 66% des classes moyennes. Celles par lesquelles le scandale des révolutions progressistes arrive. En dépit de sa richesse intérieure -trois fois supérieure à la Chine rappelle pourtant Le Monde- L’Europe donne le sentiment de se fracasser avec un éclat tout aristocratique sur les déboires d’une monnaie unique : n’en déplaise aux Grecs et aux autres peuples méditerranéens, le temps bénit des économies subventionnées et des largesses publiques touche à sa fin. Forte de son obsessionnelle rationalité dont témoigne la syntaxe de sa langue -lorsqu’on ne comprend pas un mot, il suffit de le découper pour en saisir la signification- l’Allemagne a digéré les leçons de son histoire pour assumer sereinement son leadership en Europe continentale. On ne saurait l’en blâmer : « 80% des Allemands sont satisfaits de leur emploi » et « 86% d’entre eux s’estiment bien traités dans leur travail par leur hiérarchie », selon un sondage réalisé par le magazine Stern qui doit faire fantasmer France Télécom. Le Rhin devient presque aussi large que le Yangzi. Il s’agit pourtant d’une victoire à la Pyrrhus : Berlin a vu sa traditionnelle première place d’exportateur mondial ravie en 2010 par Pékin.
La Belgique s’effondre aussi sur la question linguistique, signifiant édulcoré d’un modèle insuffisamment attractif de société. Elle vote à l’unisson une loi contre la Burqa, ultime mécanisme de défense contre un emportement inéluctable, simple manœuvre de retardement contre une échéance dynamisée par des forces sous-jacentes de déliaison. L’incendie commence toujours chez le voisin : de ce côté-ci de l’Escaut, le feu couverait plutôt sous les pierres lancées contre les bus. On n’ose diagnostiquer un symptôme identique pour l’Hexagone.
Malgré la succession rythmée des sommets toujours plus solennels qui – G7, G7+1, G8, G20 puis G2 de la ChinAmérica- jonglent avec la symbolique des chiffres à défaut de pouvoir juguler les méfaits planétaires de ceux qui s’en servent pour spéculer, un sentiment prévaut : Keynes et ses partisans du lendemain sur l’instauration d’une gouvernance extérieure nécessaire à la régulation des marchés, auraient définitivement perdu la partie. A la vision désespérée de l’écrivain autrichien -et qui le conduisit au suicide en 1942- semble faire étrangement écho la sombre évaluation du biologiste américain Jared Diamond, chroniqueur vigilant de « l’effondrement » des civilisations. Soyons darwinien : celles qui périclitent laissent finalement plus d’espace pour celles qui naissent.