La découverte presque fortuite, au cœur de Londres, de deux voitures piégées susceptibles de faire un carnage et l’attentat contre l’aéroport de Glasgow sont en quelque sorte venus saluer la prise de fonction du nouveau premier Ministre Gordon Brown. Ce dernier a appelé les citoyens britanniques à demeurer particulièrement « vigilants », voire, conformément aux propos de la nouvelle Ministre de l’intérieur Jacqui Smith, à développer leur niveau de « suspicion ». D’autant plus que la presse d’outre-Manche a ponctué ses commentaires à chaud d’inquiétantes révélations : depuis les attentats suicides de juillet 2005 qui ont ensanglanté la capitale du Royaume-Uni, la police aurait déjoué de multiples autres tentatives, toutes aussi potentiellement meurtrières. Assertions rendues plausibles depuis la confirmation publique par le Service intérieur de sécurité, le fameux MI5, de l’existence sur le territoire britannique de « 200 groupes terroristes, regroupant 1600 individus identifiés et engagés à mettre sur pied ou à faciliter des actes terroristes ». Son ancienne Directrice précisait, par surcroît, en 2006 qu’elle estimait à 100 000 le nombre de citoyens britanniques qui tenaient pour « justifiés » les attentats de juillet 2005.
Interrogé sur les menaces qui concernent la France, le Président de la République a rappelé, plutôt laconiquement, que leur niveau « restait « élevé ». Il n’est pas impensable qu’à l’instar de la situation londonienne, les services français de sécurité aient pu eux aussi découvrir les plans d’une attaque imminente, voire écarter in extremis un attentat au cœur d’une grande agglomération nationale. Si tel a bien été le cas, le public n’en aura rien su. A la lumière des événements survenus à Londres, on ne peut toutefois pas manquer de se poser une question : faut-il ou non informer substantiellement la Nation des risques et menaces terroristes qui pèsent sur son quotidien à partir du moment où l’Etat sollicite sa collaboration ?
On devine rapidement les avantages et les inconvénients des deux options. Rendre accessibles des faits jusqu’alors ignorés du public possède le mérite, comme en Grande-Bretagne, de la transparence. Celle-ci ne peut que renforcer la confiance dans un pouvoir politique lui-même suffisamment serein dans l’exercice de ses responsabilités pour affronter le choc de ces révélations. Mais plusieurs raisons plaident aussi en sens inverse : le coût de cette « publicité », en terme d’efficacité, sur la conduite opérationnelle des enquêtes, le prix politique à payer en contrepartie d’un accroc au besoin humain, incompressible comme l’on sait depuis Freud, d’un « évitement du déplaisir » et, enfin, l’illusoire satisfaction d’une meilleure cohésion nationale au risque d’un ostracisme envers une partie de la population, à l’exemple de l’Amérique après le 11 septembre 2001. Sans parler, comme les spécialistes du renseignement le savent, d’une possible banalisation de la menace à force d’en marteler son inéluctabilité.
Force est, par ailleurs, de reconnaître que l’absence d’informations fait obstacle aux visées du terrorisme : le climat de panique que ce dernier cherche à diffuser se heurte aux « muettes » mais salutaires résistances des institutions démocratiques. Dans cette guerre de l’ombre qui oppose terroristes et services spécialisés, la prime demeure inégalement répartie : dans l’attentat qui réussit contre celui qui échoue, la publicité sert davantage les intérêts des premiers et récompense à peine les efforts des seconds.