L’inauguration, ce dimanche 1er mars, du Tribunal International de La Haye, spécialement mis en place pour juger les assassins de l’ancien Premier Ministre assassiné Rafic Hariri, intervient à point nommé pour la diplomatie américaine au Moyen-Orient. Même s’il faudra plusieurs années pour obtenir un jugement, la seule évocation publique des commanditaires et de leurs complices -le « réseau criminel » mentionné par la Commission d’enquête qui n’a pas encore révélé l’identité et la nationalité de ses membres- risque d’embarrasser les responsables syriens ainsi que ceux du Hezbollah. Récemment encore, le procureur canadien Bellemare s’est vu refuser l’interrogatoire de huit personnalités de la milice chiite pro-iranienne. Selon des informations en provenance des services néerlandais de sécurité et relayées par « Le Monde », celle-ci serait par ailleurs impliquée dans plusieurs incidents : le dernier d’entre eux viserait la prise de photos des installations du Tribunal où pourraient être prochainement transférés plusieurs généraux, anciens responsables des services libanais de sécurité contrôlés à l’époque par la Syrie. Parallèlement aux travaux de cette juridiction créée par la résolution 1757 de l’ONU, le Pays du Cèdre devient à l’évidence une articulation essentielle, un véritable levier pour une diplomatie américaine nettement plus active dans la région : une diplomatie qui cherche notamment à découpler la Syrie de l’Iran, à contrer les capacités opérationnelles du Hezbollah et, subséquemment, à mettre au pied du mur l’Iran, pays économiquement fragilisé.
En premier lieu, Washington entend officiellement « réviser » sa politique envers Damas : trois délégations du Congrès ont visité la Syrie en moins d’une semaine. Celle conduite par le Sénateur démocrate John Kerry a demandé au Président syrien « d’aider au désarmement du Hezbollah ». « Personne ne peut remplacer les Etats-Unis » dans la région, a souligné de son côté Bachar El-Assad. Nicolas Sarkozy appréciera. Et Damas d’appeler de ses voeux le retour en poste d’un ambassadeur américain tout en manifestant le souhait de recevoir l’influent Général David Petraeus, responsable du Commandement central américain. Un président syrien nettement moins pressé, en revanche, de nommer un ambassadeur au Liban et encore moins enthousiaste à l’idée de devoir remettre au nouveau Tribunal de La Haye d’éventuels ressortissants de son pays.
Simultanément à cette amorce de dialogue, Barack Obama assurait par téléphone le Président libanais Michel Sleiman du « soutien permanent des États-Unis au Liban ». L’Ambassadrice américaine à Beyrouth, Michelle Sison, rendait quant à elle, visite au Ministre de la défense Elias Murr tandis que ses services révélaient la décision américaine de doter l’armée libanaise de drones de surveillance pour « renforcer ses capacités en matière de contrôle des frontières et de lutte contre le terrorisme ». Des drones de surveillance tactique que les Français de la Finul avaient voulu déployer au sud Liban en décembre 2006. En vain, en raison des pressions exercées par le Hezbollah. A l’approche des législatives du 7 juin, la tension sur le territoire libanais devient perceptible. Les appels répétés du Secrétaire général, Hassan Nasrallah, pour former un Cabinet d’union nationale en disent long sur les risques d’un verdict populaire que la milice chiite acceptera à la seule condition qu’il lui soit favorable. Le déni péremptoire contenu dans les propos récents de Cheikh Naïm Kassem, numéro deux du mouvement de Haret Hreik, sur « l’illusion » américaine de pouvoir « éloigner la Syrie de l’Iran » et sur l’interprétation du rapprochement entre Damas et Riyad, lequel serait selon lui favorable à la « résistance », confirme la vive sensibilité des enjeux autant que l’inquiétude manifeste du Parti de Dieu.
Du côté iranien enfin, le « Shoraye Negahban », organisme placé sous le contrôle du Guide et qui décide des candidatures, cherche à multiplier celles des présidentiables modérés afin de diluer les chances de l’ancien président Khatami. Une stratégie de Khamenei destinée à permettre une concentration des votes utiles en faveur de Mahmoud Ahmadinejad. Dans la perspective d’une ouverture politique avec les Etats-Unis dont le principe est largement plébiscité par la population, les responsables iraniens considèrent la réélection de l’actuel président comme un atout : un dirigeant aux positions radicales offre, selon eux, davantage de matière à négocier. Un raisonnement qui tient logiquement compte des trente années du slogan fondamental de la République islamique « Marg bar Amrika ! » : mort à l’Amérique !