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22 novembre 2024

L’Edito du Psy – Violence scolaire : sanctuarisation et chiffres contre désir de transmettre ?

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jpg_bobine2008-78.jpgSa médiatisation est certes nécessaire. Elle reste cependant trompeuse : la violence scolaire ne se laisse pas facilement appréhender. Chaque nouveau cas d’agression, qui se mue parfois en tragédie humaine, laisse accroire à l’opinion publique, l’idée d’une résurgence, sinon d’une augmentation du phénomène. Dans l’urgence, le pouvoir politique sollicité de toutes parts, annonce un plan : plus d’une dizaine ces vingt dernières années. A l’accoutumée, la rassurante mise en place de nouveaux critères quantitatifs qui insistent sur le recensement chiffré et déclaré des actes, peine à masquer le profond désarroi devant ce fait énigmatique.

La question de la violence scolaire confond trop souvent deux approches : celle d’une part, tant physique que psychique, inhérente au processus de puberté et, celle, d’autre part, consécutive aux lacunes dans l’éducation et la culture, deux domaines en charge, dans toute société humaine, de restreindre les tendances à la violence fondamentale issue d’une pulsion originaire de survie. Crise organisatrice, la période pubertaire comporte cette part de violence susceptible d’amener le jeune à des conduites agressives, soit envers l’autre, soit envers lui-même. La rencontre du verbe et de l’acte caractérise ce passage, où le garçon tente de se réapproprier un corps qui lui échappe et où la fille cherche à éliminer des transformations physiques ressenties comme un principe masculin actif et contrariant l’émergence de sa féminité. A l’école, relèvent curieusement les derniers registres d’académies, « la violence physique domine chez les garçons, la violence verbale chez les filles ». Si le sujet n’était aussi grave, on sourirait presque de ce fidèle attachement des concernés aux codes sociologiques de la sexuation.

La rupture plus ou moins radicale avec le milieu parental et l’espoir de nouvelles identifications consacrent le pubertaire. Mais c’est « en principe » muni des bagages de son éducation et de son apprentissage culturel que l’adolescent s’en va découvrir « le vaste monde ». Si le « refoulement » opéré par les « contraintes de la civilisation » ne fonctionne pas, comme l’écrivait un jour Freud à son collègue Karl Abraham, on « obtient des canailles et non des névrosés ».

La violence scolaire hurle ces multiples défaillances. En premier lieu, une société qui, depuis fort longtemps, n’offre plus suffisamment d’étayage culturel, encore moins de modèle social attractif : le dernier rapport de Jean-Paul Delevoye, le Médiateur de la République, évoque une société française « fatiguée psychiquement » et marquée par « l’angoisse du déclassement ». Notons, ensuite, une déliquescence de la parole comme une décrépitude de l’écrit, deux moyens pourtant incontestés de « se reconnaître » et de « faire savoir à l’autre » qui accompagne ce sentiment. Enfin, une démission des parents que ne parvient plus à « gérer » l’encadrement éducatif : la justice relève une tendance forte des dix dernières années à voir arriver dans les cabinets des juges des situations qui, en d’autres temps, auraient été prises en compte par les professionnels de l’Education nationale. On peut comprendre cet appel à l’aide extérieure mais il signe de facto cette perte d’autorité du corps professoral.

Témoins vivants de ces déficiences, ceux et celles qui se jettent -ou s’abandonnent- dans la violence scolaire, refusent ainsi d’entrer dans le monde adulte : ils sont davantage tentés par des formes de brutalité mimétique et substitutive à l’appareil d’Etat en adhérant à des bandes agressives : la violence à l’école a ainsi « changé de nature pour être plus collective », relève-t-on aujourd’hui. Un constat malheureusement en phase avec cette tendance générale, au sein de la population, d’une difficulté identitaire « à être », à affirmer son existence au singulier. On ne noie, on s’efface dans le groupe plutôt qu’on ne le constitue : d’autres préfèrent se réfugier, comme l’atteste la clinique psychanalytique largement consultée pour cette « pandémie contagieuse» qui affole les parents, dans le monde virtuel à travers l’anonymat de leur ordinateur. Serait-ce la « France des invisibles » dont parle également ce rapport du Médiateur de la République ?

Quant au remède de « sanctuariser » l’école, il pourrait se révéler pire que le mal : la « porosité » entre la rue et les établissements scolaires a certes été mise en évidence dès 2006 par un rapport des ancêtres de la DCRI, les Renseignements Généraux, qui notaient une hausse de 73,2 % de la présence des armes dans les écoles. Mais une école vivante digne de ce nom doit demeurer au coeur de la cité, sauf à transformer les humains qui y enseignent en « androïdes du savoir » et à considérer ceux qui viennent s’y instruire comme des réceptacles désincarnés. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le personnel enseignant soit davantage visé par ces violences : ne représente-il pas la « connaissance vraie », censée apaiser la demande de symbolique, toujours lancinante chez l’étudiant où la curiosité intellectuelle devient la forme sublimée, l’habillage psychique si l’on ose dire, de la tortueuse curiosité sexuelle ?

Directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école, Eric Debarbieux rappelle dans l’une de ses anciennes études, les critères « soigneusement hiérarchisés » qui, selon les lycéens, définissent un « bon prof » : « le respect, l’humeur stable, des critères d’évaluation clairs et permanents, la compétence doublée d’une passion pour la discipline enseignée » (In « Questions d’autorité, Editions Eres, 2005). On est bien loin de la seule question d’une soumission à l’autorité légale : « Dans la délinquance, expliquait déjà le psychanalyste et spécialiste de l’enfance Winnicott, les bénéfices secondaires sont devenus plus importants que la cause originelle qui est oubliée ».

Dans une vision étonnamment prophétique de 1957, la philosophe Hannah Arendt l’exprimait clairement: « L’autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut que signifier une chose : que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants ». Le retour à l’option sécuritaire, garrot politique à cette hémorragie de la violence, ne représente qu’un palliatif à très court terme. Ne conviendrait-il pas, à plus long terme, de redonner du sens à l’école, re-sacraliser -laïquement s’entend- le rite de passage d’une année à l’autre, afin de valoriser la progression et permettre à l’enseignant de renouer avec le désir de transmettre et pour le jeune, avec celui d’apprendre ?

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