Contrairement aux apparences, la visite du président iranien au Liban serait plutôt de nature à réjouir les détracteurs du Hezbollah. On devrait d’ailleurs dire les deux visites: la première, officielle, a revêtu les allures d’une société d’admiration mutuelle où les pires ennemis se congratulent devant les caméras. Organisée en dehors du protocole étatique, la seconde, la tournée de Mahmoud Ahmadinejad au sud-Liban, visait à réaffirmer le soutien de Téhéran au Hezbollah. Un soutien particulièrement médiatisé, à l’exact opposé de la discrétion sur ses liens avec l’Iran dont fut toujours coutumière la milice chiite depuis sa création en 1982. Cela questionne.
Malgré les peurs qu’elle suscite, cette organisation à grand spectacle -écoles de la banlieue sud fermée sans aucune consigne du ministère libanais de l’éducation nationale, routes barrées d’office par les services de sécurité de la milice chiite sans consultation des autorités compétentes- confirme paradoxalement une fragilisation du Parti de Dieu. Coincé dans l’attente de la publication d’un acte d’accusation par le Tribunal Spécial pour le Liban, Hassan Nasrallah multiplie depuis août dernier les prestations télévisées et les conférences de presse pour tenter d’en discréditer le Procureur: puisqu’elle a désormais fait sienne l’hypothèse d’une incrimination par l’instance judiciaire internationale, la milice islamique tente par tous les moyens d’infléchir à l’intérieur du Liban le cours de l’histoire: révélations -vaines- sur une éventuelle implication israélienne dans l’assassinat de Rafic Hariri, mise en avant de l’affaire des « faux témoins », insistance sur la « politisation » du TSL, demande de création d’un tribunal libanais pour gérer ce dossier. Il ne reste plus au Hezbollah qu’à faire tomber le Gouvernement de Saad Hariri en retirant ses ministres et créer un « vacuum » à même d’empêcher toute procédure extérieure d’aboutir. Avec les craintes exprimées par le Commandant en chef de l’Armée Jean Kahwagi à l’émissaire spécial de l’Onu pour le Liban: « de qui prendrais-je alors mes ordres ». Craintes entendues au-delà du pays du Cèdre.
Malgré l’affichage d’une adhésion sans faille de toute la famille chiite à l’escapade du président iranien, le Hezbollah ne peut ignorer, autre source d ‘inquiétude, les rivalités récurrentes avec ses « frères » du Mouvement Amal: aux militants de base qui s’invectivent ou se battent avec ceux du Hezbollah lors d’échéances électorales locales se joint l’aveu -à voix basse- par le plus influent conseiller du Président du Parlement que Nabih Berry ne serait pas fâché de restaurer son influence dans le triumvirat institutionnel libanais et de recouvrer l’oreille de Damas, perdue après 2005. La solidarité a toujours ses limites. En témoigne l’exemple des maires de petits villages du Sud-Liban affiliés au Parti de Dieu qui rejettent toute subvention, à finalité éducative ou de santé, en provenance de la France. Histoire de stigmatiser les contingents hexagonaux de la Finul trop zélés dans leur recherche -et leur découverte- de caches d’armes. Les représentants locaux de Amal ne s’en plaignent guère et profitent sans état d’âme de la manne disponible. Quant aux familles chiites fortunées, elles ne sont guère « intéressées » par un nouveau conflit avec Israël et l’ont fait précisément savoir aux responsables du Hezbollah.
Autre signe d’affaiblissement du Parti de Dieu: les questions de financement. Plusieurs affaires de corruption dont un authentique « Madof » hezbollahi ont empoisonné ces derniers mois la milice chiite: alors que des officiers subalternes assurent dans des conditions que la clandestinité rend difficiles, l’entraînement opérationnel des combattants dans le sud du pays et dans la Bekaa, d’autres profitent de largesses pour mener grand train, trahis par leurs grosses cylindrées qui déboulent dans la banlieue sud de Beyrouth. A plusieurs reprises, le Secrétaire Général du Hezbollah a dû fermement rappeler à l’ordre les plus dispendieux. Rappels à l’ordre d’autant plus nécessaires que le Parti connaît des crises de liquidités, obligeant certains de ses hommes d’affaires installés à l’étranger, à vendre précipitamment leurs fonds de commerce pour renflouer les caisses et garantir la fluidité des allégeances.
Quitte à renier sa névrose de destinée -comment exister sans forcément périr en martyr?- la milice chiite semble, pour le moment, écarter une option militaire aux conséquences imprévisibles. A un diplomate occidental qui l’interrogeait au début de l’été sur ses réactions en cas de mise en accusation, un cadre du Hezbollah avait à l’époque répondu que le Parti de Dieu hésitait entre deux scénarios: « juillet 2006 ou mai 2008 ». Le premier en référence à la guerre contre Tsahal, le second pour évoquer le blocage de l’aéroport international de Beyrouth et les combats de rue. Mais déjà sous pression à l’intérieur du Liban, la tentation des armes du parti religieux, suicidaire nonobstant les graves dommages susceptibles d’être infligés à Israël, se trouve désormais verrouillée à l’échelon régional. Y compris par ses propres alliés. Inquiète d’un conflit où pour la première fois le régime alaouite pourrait être menacé, sans crédibilité à force, si l’on ose dire, « d’avoir vendu tous ceux qui l’avaient achetée », la Syrie se trouve réduite à un vulgaire rôle de sous-traitant sécuritaire, obligée à la fois de ménager Riyadh et de séduire Washington sans trahir Téhéran! Avec Paris, les choses sont plus simples: Damas « mange l’appât puis crache sur le pêcheur ».
Quant à l’Iran, en dépit de sa volonté d’apparaître comme un acteur inévitable dans la région, on peut finalement se demander quelle sorte d’aide a bien pu promettre au Hezbollah M. Ahmadinejad, dont le pays est confronté, malgré les quelques milliards de dollars mensuels de revenus pétroliers, à une crise économique sans précédent. Et qui fait craindre, selon un rapport confidentiel publié par « Les Echos », un prochain effondrement financier qu’essaie d’enrayer l’abandon -sans cesse annoncé puis reporté- des prix subventionnés pour les produits énergétiques. Dans cette « misère », Mahmoud Ahmadinejad enjoint aux Iraniens de se serrer la ceinture. Au Hezbollah, seulement les coudes.