La « rencontre » aura bien eu lieu. De celui que la presse présentait avant son arrivée à Paris comme « lointain » et, par comparaison avec son prédécesseur Jean-Paul II, comme un aride « théologien » thomiste plutôt qu’un accessible pasteur augustinien, le pape Benoît XVI a su faire mentir ses détracteurs et finalement donner de lui-même, à défaut de procurer un avantage identique à l’Eglise qu’il dirige, une image nettement plus humaine.
Prudemment, il est vrai, le Souverain pontife a évité dans ses multiples interventions les thèmes traditionnels qui, comme la « muleta », excitent et fâchent systématiquement les troupes laïques : l’avortement, la sexualité ou l’utilisation des progrès de la génétique. Tout au plus aura-t-il réitéré dans son homélie de l’esplanade des Invalides, les condamnations et les mises en garde contre les fléaux de la société moderne, « l’argent, la soif de l’avoir et du pouvoir » qui « détournent » l’homme d’un cheminement spirituel.
Mais c’est probablement dans son discours du Collège des Bernardins que le Saint Père a délivré l’essentiel de son message. Probablement plus à l’aise devant ce parterre d’intellectuels, de chercheurs et d’hommes de lettres, le pape a véritablement donné le sens de cette « rencontre ». Car pour toute « rencontre », il faut être deux : en rappelant dès son premier discours à l’Elysée, la nécessité d’une stricte séparation – énoncée dans l’évangile – entre le religieux et le politique, Benoît XVI aura rendu possible un authentique débat dont il faut espérer qu’il approfondira celui initié par Jean- Paul II en septembre 1998 avec sa lettre Encyclique « Fides et ratio ».
Habilement, plutôt que de prétendre incarner la ligne officielle à suivre, ce qui lui a permis d’éviter toute référence doctrinale indiscutable, Benoît XVI a préféré border, décliner des contours et proposer des limites à ce futur échange : il laisse ainsi disponible en son centre un espace plus vaste destiné au dialogue. Entre « l’arbitraire de la subjectivité » – une interprétation souple, distendue et par trop personnalisée des textes évangéliques dans lesquels on picore davantage qu’on ne s’en nourrit – et « le fanatisme fondamentaliste » – le verrouillage de la conduite et de la pensée humaines fixées dogmatiquement aux textes -, s’ouvre un monde au sein duquel la raison peut trouver acceptable, sinon « enrichissant » selon lui, d’instaurer un dialogue avec la foi. Cette « tension entre le lien et la liberté » évoqué dans le discours papal entend bien montrer cette faculté laissée à l’appréciation de l’individu d’une oscillation, d’un ballottement entre repères structuraux, dirait-on ailleurs « hic et nunc ».
En insistant en outre dans son allocution aux Bernardins sur l’importance de l’oralité – « la culture de la parole liée à la recherche de Dieu » – dans l’interprétation et la transmission des Evangiles devant mener à la connaissance et en mentionnant son « exploration dans toutes les dimensions », Benoît XVI aurait-il en quelque sorte envisagé de ponctuer le nouveau Testament d’une « virgule à la place d’un point final » pour reprendre l’expression du Jésuite Joseph Moingt dans son ouvrage « L’homme qui venait de Dieu » ?
Reste que si l’Eglise revendique une capacité à dire son avis sur les sujets de société, elle doit accepter en retour d’être questionnée sur cette interprétation des écritures et de la parole divines. Entre cet « Eruditio » si prisé par le Souverain pontife devant les penseurs parisiens et la « cupidité de savoir », dénoncée quelques heures plus tard dans son homélie des Invalides, on devine toute la difficulté de l’Eglise de Rome : demeurer l’indéfectible gardienne du temple tout en assumant les possibles conséquences pour la doctrine et la liturgie du pas qu’elle invite les nouveaux « chercheurs de Dieu » à franchir.