« Je voudrais que les auditions chez le juge d’instruction soient (…) enregistrées. J’en fais une condition de mon soutien au projet de Pascal Clément », a déclaré mercredi le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy.
L’enregistrement audiovisuel constitue le premier pas vers la nouvelle réforme de la Justice, suite au dépôt du rapport de la Commission Parlementaire qui s’est penchée sur le fiasco de l’affaire d’Outreau. « Depuis le départ, Nicolas Sarkozy s’est montré particulièrement résolu sur la responsabilisation des magistrats, allant jusqu’à réclamer que ceux-ci soient comptables de leurs décisions, au besoin sur leurs deniers », en binôme avec le Ministre de l’Intérieur, Pascal Clément, le Ministre de la Justice, confirme vouloir aller très loin dans la réforme du système judiciaire. Même si Dominique de Villepin n’a pas tranché, les caméras pourraient arriver dès 2007 dans les commissariats et en 2008 chez les magistrats. Quitte à soulever un violent tollé dans la sphère judiciaire.
De nombreux pays européens ont déjà adopté l’enregistrement audiovisuel.
En France, la magistrature s’oppose totalement à cette disposition. « Aberrant ! s’exclame Maître Jean-Pierre Versini-Campinchi, ténor du barreau parisien. Il n’y a pas 10% des avocats qui y soient favorables ». « A partir du moment où un greffier ou un juge assistent à l’audition, je ne vois pas bien l’utilité d’une telle mesure », déclare Christophe Regnard, ancien juge d’instruction et membre de l’union syndicale des magistrats.
Seulement, la commission parlementaire d’Outreau a révélé que le greffier du juge Burgaud marchait à sa baguette, omettant ou déformant certains propos des accusés. Néanmoins, Richard Pallain, juge d’instruction de Nanterre, estime que la présence d’une caméra lors de cette instruction n’aurait rien changé, puisque les enregistrements auraient été visionnés bien des années plus tard. « La présence d’une caméra dans ces moments intenses de la vérité va tout aseptiser. On va tuer la relation humaine par excès de formalisme », a-t-il ajouté dans un entretien avec le quotidien le Figaro. Même rengaine au Syndicat des policiers (Synergie). « Cette reforme va faire chuter le taux d’élucidation des affaires, car la caméra va briser le climat de confiance qui peut amener le suspect à vider son sac », affirme Bruno Beschiazza, le parton de Synergie.
Les enregistrements vidéo sont déjà en vigueur en France pour certaines auditions des mineurs. Mais ce dispositif n’a jamais eu de succès retentissant dans la Justice française. Les fichiers vidéo concernés ont été réclamés par les magistrats seulement dans une quinzaine de fois.
Le coût de l’opération est aussi en jeu. L’introduction du matériel audiovisuel nécessitera un investissement de 5000 euros (hors maintenance) par service, avec 1800 postes de capture vidéo par la seule PJ.
La haute magistrature se sent visiblement lésée par ce nouveau dispositif. Outre la confiance, c’est l’image même des hommes de la justice qui est concernée. « On ne peut quand même pas transformer les greffiers en preneurs de son et les avocats en caméramans », peste Christophe Regnard.
Les acquittés d’Outreau réservent un accueil mitigé à ce nouveau dispositif. L’huissier de justice Alain Marécaux est « d’accord à 100% pour l’enregistrement, au moins audio, des gardes à vue ». Pour lui, c’est le plus important. « Avec une caméra, la polémique sur le « hors-PV » serait levée », a-t-il précisé. Autre figure emblématique du procès, l’abbé Dominique Weil s’oppose à cette mesure. « Mieux vaut renforcer les droits de la défense qui crée des contraintes qui nourrissent la suspicion envers policiers ou magistrats », a-t-il déclaré hier.
Pour le moment, rien n’est définitif. Le cabinet du ministre de la Justice a démenti mercredi matin qu’un accord ait été trouvé pour combiner l’enregistrement audio et vidéo.
Une justice moins sourde et aveugle ne verra peut-être jamais le jour en France.