Nice Première a lancé une consultation auprès des élus et des politiques locaux afin de connaître leur avis sur ce Contrat Première Embauche qui semble diviser un pays qui ferait mieux de se rassembler pour trouver des solutions durables pour l’emploi des jeunes comme des autres.
Les premiers à avoir répondu à notre invitation sont :
- Rudy Salles : Député 3ème circonscription de Nice et Conseiller Régional (UDF)
- Jean-Christophe Picard : Porte parole du Parti Radical de Gauche 06
- Jérôme Rivière : Député 1ère circonscription de Nice (UMP)
- Bruno Della Sudda : Conseiller Municipal à Nice (Alternatifs)
« Contrat Précarité Exclusion » pour les uns, « Contrat Pour l’Emploi » pour les autres, ils reviennent tous sur ce CPE qui n’a pas fini de faire parler de lui.
Nice Première : Que pensez-vous du Contrat Nouvelle Embauche ?
Rudy Salles : Depuis 25 ans, tous les gouvernements ont essayé de résorber le chômage. Force est de constater que dans ce domaine il y a plus d’échecs que de réussites.
Pour ce qui concerne le CPE il y a deux sortes de problèmes: des problèmes de fond et des problèmes de formes. Pour ce qui est du fond, ce qui choque les jeunes, et à juste titre, c’est d’une part la période probatoire de 2 ans qui est beaucoup trop longue et aussi le fait que l’on puisse licencier sans aucune justification.
Au tout début de cette affaire, le groupe UDF avait fait des propositions et déposé des amendements pour surmonter ces difficultés : réduire la période probatoire à 1 an et réintroduire la nécessité de justifier le licenciement. Malheureusement nous n’avons pas été suivis par le Gouvernement. C’est infiniment regrettable car on aurait pu éviter une telle crise.
Pour ce qui concerne la forme: nous préconisions la concertation avec les partenaires sociaux en amont. Malheureusement cela ne s’est pas produit et pire, le Premier Ministre a eu recours au 49-3 cloturant le débat parlementaire prématurément. C’est là aussi une erreur qu’il aurait fallu éviter. Nous avions aussi prévenu sur ce point!
Jean Christophe Picard : C’est une infamie ! Tout d’abord, il repose sur une idée absurde : les entreprises vont embaucher des jeunes… parce qu’elles pourront plus facilement les virer !
Surtout, ce dispositif piétine le principe constitutionnel d’égalité des salariés. En effet, s’il entrait en vigueur, sa principale conséquence serait de permettre à un employeur de presser comme un citron les jeunes recrues qui seraient dissuadées d’avoir l’idée saugrenue de prendre connaissance de leurs droits. Le CPE introduirait donc un droit du travail à plusieurs vitesses….
Jérôme Rivière : J’ai voté après de très nombreux débats et échanges dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale le texte de loi sur l’égalité des chances qui inclut le dispositif du Contrat Première Embauche, le CPE. Bien sûr, je me suis posé la même question : le CPE, l’ouverture possible à l’apprentissage dès l’âge de 14 ans, ces textes que nous votons actuellement sont-ils la solution miracle aux problèmes du chômage que notre pays connait depuis plus de vingt ans ?
Je n’en sais rien, et notre histoire économique et sociale incite à la modestie en la matière.
Ce dont je suis certain, c’est que ces mesures apportent une nouveauté. Elles n’ont bien évidemment pas pour objectif de nuire aux jeunes français en les éloignant du système scolaire comme les idéologues de l’Education Nationale nous le reprochent ou d’augmenter la précarité comme la gauche nous en fait le procès d’intention !
Ces mesures ne se révèleront peut-être pas à la hauteur de ce que nous espérions en les votant. Certains problèmes verront peut-être le jour, et il faudra de nouveau modifier les textes… et alors ?
Ce que je crois avant tout, c’est qu’il serait indécent de la part d’une majorité politique de ne rien faire. Les syndicats, les partis de gauche réclament le statu quo alors que la situation du pays impose l’action.
Bruno Della Sudda : le plus grand mal car non seulement il ne créera pas d’emploi de manière significative, mais il accentuera de manière forte la précarité de la jeunesse, ce qui est inacceptable, et servira de ballon d’essai pour la précarisation généralisée du salariat. Ce qui nous est proposà à travers le CNE et le CPE, c’est le monde de la jungle.
Nice Première : A votre avis, jusqu’où ira la contestation populaire ?
RS : Je ne sais pas jusqu’où peut aller la contestation mais ce que je puis dire c’est que les conditions du dialogue étant à ce point dégradées et les manifestations ayant réussi à convaincre l’opinion publique, on peut dire qu’aujourd’hui la situation n’est plus maitrisée.
JCP : Elle ira jusqu’au bout ! On ne peut pas se permettre de laisser passer un truc comme ça, ce serait le début de démantèlement du code du travail.
JR : Contestation populaire est un bien grand mot. Oui, une partie de la jeunesse française s’agite, marche, crie et proteste. Mais certainement pas pour contester. Le bruit, l’emballement des plus jeunes, relayé par l’agitation syndicale, c’est pour qu’on ne touche à rien ! Notre pays est paralysé par des demandes de conservatisme, d’immobilisme.
BDS : C’est difficile à dire aujourd’hui, mais cette contestation populaire ressemble à une lame de fond. Quatre remarques cependant :
- Cette contestation populaire prolonge sous des formes différentes la révolte des jeunes des quartiers populaires de novembre 2005 et le vote du référendum du 29 mai 2005, c’est-à-dire un refus par la société du « libéralisme »
- Une génération entière se politise, ici à travers une alliance entre la jeunesse et le monde du travail, ce qui produira de multiples effets dans les années à venir
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La raideur et l’arrogance de Villepin ne sont pas un trait caractériel, mais une orientation politique, mise en échec par une contestation grandissante qui prend la droite et le patronat à contrepied
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Le mouvement de contestation a du retard à l’université de Nice par rapport aux autres villes universitaires, ce qui s’explique pour partie par des divisions politiciennes à gauche, préjudiciables au syndicalisme étudiant et aux cadres d’auto-organisation indispensables au déploiement d’une mobilisation à la hauteur de l’enjeu
Mais le dynamisme et la combativité de la manifestation niçoise du 18 mars laissent espérer un élargissement d’ici les prochains rendez-vous anti-CPE
Nice Première : Que feriez-vous à la place de Dominique de Villepin et de son gouvernement ?
RS : A la place de Dominique de Villepin je proposerais un moratoire: on retire le texte et on ouvre les négociations. Ca n’est pas un aveu de faiblesse. Mais dans la mesure où désormais il y a un conflit qui s’enlise, il faut avoir le courage de le reconnaitre et d’en tirer les conséquences.
JCP : A leur place, je prierais pour que le Conseil constitutionnel – saisi notamment par les députés PRG – censure cette disposition ! C’est la seule porte de sortie honorable qu’il leur reste.
JR : Une partie de la jeunesse de notre pays, au lieu de rêver d’aventure, de tirer vers l’avant la génération qui l’a précédée, regrette un passé qu’elle ne connaitra pas. Ce pessimisme, que je comprends au regard de la situation économique difficile que nous vivons, génère un désir de contrat de travail sécurisé, de bon petit job dans un secteur protégé plutôt que dans le privé…
Nous devons aussi nous employer à rassurer et mettre en oeuvre les outils qui permettront de ne pas exclusivement faire peser le risque de la globalisation sur les salariés.
C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle j’avais voté non lors du référendum sur la constitution européenne. Un avenir ne peut pas être résumé à un marché !
BDS : C’est le problème de Villepin et de son gouvernement, pas le nôtre !
Nice Première : Depuis 20 ans, les nouvelles propositions (de droite comme de gauche) dans le domaine de l’emploi ont été rejetées. Quelles seraient vos propositions pour relancer l’emploi en France comme dans votre région ?
RS : Le problème se pose en particulier au niveau des jeunes qui n’ont pas de qualification et qui n’arrivent donc pas à mettre le pied à l’étrier. Nous proposons que pendant un an, un jeune sans qualification puisse travailler dans une entreprise et soit payé pendant cette durée par l’Etat. Ainsi, au bout de cette période, le jeune aurait acquis une formation et une expérience. Ca n’est pas de l’apprentissage mais un emploi dans les conditions normales avec un vrai salaire. Mais en même temps il y a cet aspect pédagogique qui permet au jeune d’entrer dans la vie active.
Je pense également qu’il y a trop de contrats différents au point que même les spécialistes s’y perdent. Et puis ça n’est pas le contrat qui crée l’emploi mais la croissance. Enfin, pour inciter les chefs d’entreprises à embaucher, il faut alléger les charges pesant sur l’emploi et diminuer les tracasseries administratives qui vont avec !
Mais pour cela il faudrait que les élus de toutes tendances acceptent eux aussi de se mettre autour d’une table pour essayer de trouver les bonnes solutions pour régler ces problèmes. Quand vous vous adressez à un chomeur qui n’arrive pas à trouver d’emploi, croyez-vous que le débat droite-gauche l’intéresse ? Pas du tout. Il vous répond: « tous pareils, vous parlez mais vous ne réglez pas le problème »‘. Je crois que sur un sujet aussi grave que celui-là, qui touche à la dignité de nos concitoyens, il faut avoir ce courage et cette volonté de transcender les clivages politiques car sinon c’est la politique, au sens large du terme, qui est discréditée.
JCP : Il faut commencer par arrêter de créer un nouveau type de contrat de travail chaque matin ! Les employeurs, comme les salariés, ont besoin d’une certaine stabilité juridique. Le vrai problème de l’emploi des jeunes, c’est l’inadéquation entre leur cursus et les besoins des entreprises. Il faudrait donc commencer par améliorer l’orientation et la formation (initiale et continue) des jeunes…
JR : Si certains jeunes sont pessimistes pour leur avenir il est dommage de constater que beaucoup d’autres, les optimistes (?) partent. Plus d’un million de français de moins de 35 ans se sont expatriés… Ecouter et consulter sans aucun doute. Proposer et légiférer très certainement. Mais surtout réformer pour donner une chance à notre pays.
BDS : En effet, les politique « libérales » menées depuis plus de 20 ans (1983 précisément) ont toutes échoué à combattre le chômage et la précarité. Il est urgent de leur substituer une politique économique alternative, rompant avec les dogmes libéraux. Cette politique doit se fixer comme but l’alterdéveloppement et donc une croissance douce, basée sur une relance sélective combinant satisfaction des besoins sociaux et exigences écologiques. Pour cela, plusieurs mesures sont nécessaires, parmi lesquelles une réduction massive du temps de travail (32 h immédiates, vers les 30 h) permettant du temps libre pour toutes et tous, et des créations massives d’emploi d’utilité sociale et écologique ; une rupture avec le carcan du pacte de stabilité de l’UE pour rendre possible une autre politique budgétaire, accordant la priorité absolue à la Santé Publique, à la Culture et à l’Education, ainsi qu’à la Justice et à la Recherche Publique, avec des centaines de milliers de création d’emplois à la clé. Il n’y a pas d’autre voie pour une politique de plein-emploi et pour mettre fin à l’explosion du chômage et de la précarité qui pénalisent particulièrement les jeunes et les femmes (et davantage encore ceux et celles qui sont issu-e-s de l’immigration).