Même si la campagne électorale ne débute officiellement que le 25 février prochain, les habitants de Villefranche sur mer ont désormais le sentiment d’assister, après une période plutôt flottante qui autorisait toute sorte de supputations hasardeuses sur les réelles intentions des figures politiques locales, à une mise en ordre de bataille. On n’y voit pas forcément plus clair mais les principaux protagonistes commencent, si l’on ose dire, à sortir de la rade !
A quelques jours d’intervalle, les candidats déclarés tout comme ceux qui ne le sont pas encore – les uns et les autres ont jusqu’à la mi-février pour déposer leurs listes – ont accéléré le rythme de leurs réunions et de leur présence sur le terrain pour les premiers, et discrètement réuni les éléments de leurs équipes, échangé des informations et esquissé des stratégies électorales pour les seconds. Cette apparence de vrai départ ne doit cependant occulter l’existence de multiples faux-semblants à même de brouiller la perceptions des enjeux.
Premier faux-semblant, l’arrivée inattendue sur la liste du maire sortant Gérard Grosgogeat, du Conseiller général Jean-Pierre Mangiapan continue de susciter bon nombre d’interrogations. Difficile en effet pour une tête de liste d’admettre et de gérer une figure politique de cette importance . Au point de se demander si le Maire sortant ne laissera pas en cours de route son mandat à ce nouvel homme fort, reléguant ainsi définitivement les prétentions jamais abouties de son actuel premier adjoint et repoussant d’autant les aspirations de plus jeunes élus à peine débarqués de Nice.
Ce « retour aux sources villefranchoises » comme ne cesse de le proclamer le principal intéressé, n’est certes pas dénué d’ambiguïtés. Si, affirment ses principaux détracteurs, Christian Estrosi n’a pas voulu de lui sur sa liste niçoise, cette soit-disant « éviction », ce recalage imposé ou calculé, pourrait néanmoins largement servir les intérêts du Président du Conseil général et, selon toute vraisemblance, ceux du prochain maire de Nice. Du « win win » en quelque sorte. Stratégie doublement payante pour l’actuel Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer qui, une fois débarrassé de son portefeuille ministériel, sera à même d’étendre son influence au-delà de la baie des anges et d’introduire dans cette circonscription des trois Corniches un homme à la stature potentielle de député. Ce n’est pas, semble-t-il, à une autre analyse que le Député-Maire de Menton a procédé si l’on en croit l’un des plus proches collaborateurs de Jean-Paul Geay, candidat d’opposition au maire sortant. Le « loup dans la bergerie » évoqué, toujours selon lui, par Colette Giudicelli, montre que le vent du boulet a dû largement siffler aux oreilles du couple mentonnais et venir lui rappeler ce que nombre de Villefranchois chuchotent tout bas dans la rue à propos du découpage de la circonscription : « Menton c’est un peu loin ! ». Impossible dans ces conditions d’écarter à terme une perspective de recentrage politique, conséquence d’un centre de gravité niçois plus attractif.
Quoi qu’il en soit, cette éventuelle extension territoriale de l’influence niçoise ne peut qu’embarrasser, pour le poste de Conseiller général cette fois-ci, l’autre grande figure de la région : le Maire de Saint-Jean Cap-Ferrat et vice-Président de l’influente institution départementale, René Vestri. L’un des candidats d’opposition, après l’avoir récemment rencontré, affirme – vérité ou intoxe ?- que ce vétéran de la politique locale préparerait une déclaration publique contre le colistier de Gérard Grosgogeat. Ce qui vaudrait retrait indirect de son soutien. Irait-il jusqu’à encourager en sous-main la création d’une liste unique d’opposants au maire sortant ? Rien ne semble l’indiquer pour le moment puisque Jean-Luc Morlino, opposant lui aussi déclaré à Gérard Grosgogeat, reconnaît « ne pas avoir été contacté » en ce sens par le premier des St Jeannois.
Autre incertitude, la double coloration niçoise et UMP de la liste Grosgogeat-Mangiapan pourrait également jouer en défaveur de cette alliance. « Narcissisme des petites différences » oblige, Villefranche n’est pas Nice et Nice n’est pas Villefranche. L’annonce des prochaines réunions initiées par l’Association « Villefranche pour tous » du Maire sortant sur des questions de société et où sont invités des responsables politiques essentiellement niçois, mêle intérêt et scepticisme : Dominique Estrosi est certes largement appréciée pour son action efficace à la politique de la Ville et le Doyen de la Faculté de médecine Benchimol a puissamment contribué à l’amélioration des conditions de la santé dans la région. Mais, s’interrogent les habitants, cela signifie-t-il que « ceux qui les font venir n’ont aucune idée sur ces questions ? ».
Autre ambiguïté de taille, la politisation de la campagne électorale souhaitée par le Président de la République. Revendiquant avec insistance l’investiture de l’UMP, le Maire sortant risque aussi de heurter une partie de son électorat traditionnel pour lequel les municipales doivent rester avant tout une affaire strictement locale. L’incontestable popularité dont jouit, y compris sur Villefranche, Christian Estrosi pourrait néanmoins pâtir du tassement dans l’opinion publique de l’image du chef de l’Etat. Ce qui arrive dans nombre de grandes villes de France où des élus, pourtant membres ou réputés proches de la majorité, freinent des quatre fers à « l’umpisation » de la campagne, revêt, à l’échelon réduit d’une ville de 7000 habitants, une plus grande acuité.
C’est sans doute pour ces raisons que les deux principaux opposants au Maire sortant tentent, non sans réelle difficulté, de rassembler des équipes « plurielles », sans étiquette politique et résolument motivées par des intérêts locaux. Conscients de l’imposante machine électorale de « Villefranche pour tous », Jean-Paul Geay et Jean-Luc Morlino ne cherchent pas à l’affronter sur son terrain mais, comme dans les arts martiaux, s’efforcent d’exploiter la puissance et la taille de l’adversaire.
Séparés, ils n’ont pourtant que peu de chance – sinon aucune – de l’emporter. S’ils décidaient toutefois de s’unir dans une liste commune dès le premier tour, hypothèse qui ne peut être totalement écartée compte tenu des nombreux encouragements qu’ils reçoivent en ce sens, la donne pourrait probablement changer. Il est certain que la canalisation des électeurs indécis, dans un sens comme dans l’autre, s’en trouverait considérablement accentuée.