Il existe sans doute mille bonnes raisons de se rendre à Tozeur, la capitale du Jérid dans le Sahara tunisien : l’inauguration par la compagnie Tunis Air d’un vol direct en partance de Nice Côte d’Azur, parcours à peine plus long qu’un Paris-Nice, n’est certainement pas la dernière. Mais, histoire de mettre le lecteur dans l’ambiance, on commencera par la plus anecdotique, la plus couleur locale. Le sérieux, qu’on se rassure, viendra ensuite.
Donc, sitôt embarqués dans le 4×4 de l’aéroport, le chauffeur évoque l’existence d’un étrange volatile : le « abarah ». Guère plus imposant qu’un canard, doté d’un long cou et d’une paire d’yeux marron, le presque palmipède niche chaque année dans la région pour le plus grand bonheur des chasseurs. On vient, raconte le guide avec enthousiasme, de très loin des pays du Golfe pour s’en délecter. Non de sa chair, quoi que celle-ci ne soit pas plus mauvaise que celle de son cousin des lacs, mais pour les indicibles qualités aphrodisiaques prêtées à son cerveau. Une première information qu’il convenait à tout prix de vérifier. Malheureusement, parmi les nombreux invités qui se pressaient au déjeuner du Golf de Tozeur, ni le Commandant de gendarmerie, ni le Commissaire de Police, pourtant lunette noire et fine moustache, passé par l’école de St-Cyr-Au-Mont-d’or, ne furent en mesure d’apporter d’utiles précisions à ce sujet. Le Directeur régional du Tourisme tunisien, Borhane Ben Ali, parut davantage au fait de la question mais sourit, silencieux, d’un air entendu. Fantasme ou réalité, le « abarah » restera donc un secret jalousement gardé par les mystères du désert.
Tozeur, c’est l’anti-littoral. Une claque à Djerba, un pied de nez à Hammamet. Au blanc et bleu, couleurs symboliques de la côte tunisienne qu’on retrouve dans les carrelages muraux et les faïences extérieures, le Jérid préfère l’ocre discret d’un sable fin au teint halé par le soleil. Poussière vivante qui réagit par des tons de rouge ou de vert lorsqu’elle subit les assauts intempestifs de la pluie. Le bord de mer invite à regarder l’infini de l’horizon. Le désert exhorte au plus profond retour sur soi. Il ordonne le départ d’une expédition vers l’intérieur. Assurément un moment intense.
Organisé conjointement par Tunis Air (www.tunisair.com) et l’Office National du Tourisme Tunisien dans le but de faire découvrir cette région de 32 Km2, ce voyage a commencé par un baptême, celui de l’eau justement, une « bénédiction divine » dans la langue arabe : une fois posé sur la seule piste visible à des miles à la ronde, l’Airbus de Tunis Air passe entre deux camions citernes de pompiers en action. La symbolique ne s’arrête pas aux seules machines. Un accueil des plus officiels est réservé par les hautes autorités du pays : le Ministre du Tourisme, le plus jeune des membres du Gouvernement dit-on, le Gouverneur de la région, accompagnés d’élus locaux et de responsables du tourisme saluent chacun des passagers qui se voit offrir une rose en guise de bienvenue. Au bout du tarmac, des musiciens costumés font rythmiquement résonner tambourins rustiques et flûtes artisanales.
Première destination: un golf situé dans un magnifique environnement de plus d’une centaine d’hectares avec son club house inauguré en novembre 2006 et susceptible d’accueillir jusqu’à cent joueurs, sans compter l’enfilade de terrasses à même d’abriter 350 convives (www.tozeuroasisgolf.com). Golf qui, à défaut d’eau, a fait couler beaucoup d’encre. Premier contact avec la problématique du développement touristique de cette région. Le Maire de Tozeur, Abderrazzak Cheraït, réputé proche de Nicolas Sarkozy, était opposé à ce projet, grand consommateur des maigres ressources phréatiques. Mais les ordres, paraît-il, sont venus de très haut. Ils correspondent sans doute à « cette vision stratégique du Président Ben Ali » évoquée par le Ministre du Tourisme dans son allocution de bienvenue. On sent en effet dans les formules comme dans les mots, un appel pressant, une forme d’urgence à développer le site de Tozeur. Saturation des infrastructures côtières ? Nécessité de doter la Tunisie d’un second centre touristique ? Toujours est-il que les responsables régionaux ne lésinent pas sur les moyens mis en œuvre pour valoriser l’endroit et attirer les investisseurs : des subventions étatiques octroyées à hauteur de 25% du coût des projets, dix ans d’exonération du paiement de l’impôt et des charges sociales, autant d’arguments décisifs dans un pays tiré par 6% de croissance annuelle et qui, sous l’impulsion récente de son président, entend donner un coup d’accélérateur aux relations économiques avec la Chine. Avec plus de 6,5 millions de touristes en 2007, dont plus d’un million de Français, soit une augmentation de 8,2% par rapport à 2006, le Ministre du tourisme peut se féliciter dans sa conférence de presse des « signes de redressement » pour la clientèle européenne même s’il relève des « efforts à fournir » pour les touristes britanniques qui semblent préférer d’autres contrées.
Au-delà des chiffres, se pose néanmoins une question : la nature même de ce tourisme. Ce voyage a en effet laissé apparaître deux projets touristiques en cours d’élaboration dans cette région de Tunisie. Problème : peuvent-ils cohabiter ? Sont-ils complémentaires ou antagonistes ?
Sur un premier versant, les autorités politiques entendent apparemment développer sur le long terme, un tourisme large, potentiellement massif, en multipliant les infrastructures d’accueil et en aménageant les sites géographiques. Une orientation qui implique construction d’hôtels de grand standing, ouverture de larges routes et exploitation des sites et paysages. Ces derniers ne font d’ailleurs pas défaut : avec ses 1000 hectares de palmeraies irriguées par 200 sources, la visite des souks ou celle de la médina en calèche, les périples dans le désert à dos de chameaux ou sanglé sur des quads, la traversée des gorges de Selja en Lézard rouge (ancien train beylical), la découverte des oasis de Midès ou celle de Nefta, sans oublier pour les inconditionnels de Star Wars, le moment de recueillement sur le site du tournage des premiers épisodes dans les dunes de J’mel, offrent l’occasion de dépaysements aussi nombreux que variés.
Mais à cette approche, les tours opérateurs européens semblent, pour le moment, en privilégier une seconde. Celle d’un tourisme élitiste réservé à une clientèle aisée, désireuse de l’exclusivité et soucieuse de l’exceptionnel, à la recherche enfin d’une sorte de fulgurance exotique le temps pressé d’un week-end.
Fahrat Hached, le Directeur du Tamerza Palace avec ses suites luxueuses aux vues pharaoniques sur les terrasses de l’Atlas, lesquelles abritèrent le tournage du « patient anglais », propose ainsi la « privatisation » de son établissement pour une nuit et un forfait de 30 000 euros (www.tamerza-palace.com). Récemment, un groupe d’Israéliens français et anglais ont réservé l’ensemble hôtelier pour célébrer conjointement une « Barmitsva ».
Réparties sur son immense domaine, de vastes « restanques » illuminées de 5000 bougies pour la plus spacieuse, de 1000 bougies – seulement !- pour la plus modeste, ménagent un espace intemporel, une rupture garantie avec la réalité. Une « consommation expérientielle » pour plagier les spécialistes de marketing. Puissante mais forcément de courte durée.
Les « événementiels » tunisiens emboîtent, quant à eux, le pas à leurs confrères européens. A l’image du directeur de « Tunisia Events » (www.tunevents.net), organisateur du somptueux buffet à la soirée du Maire de Tozeur lequel recevait les invités dans son hôtel particulier. Ce dernier abrite d’ailleurs un musée doté d’une prestigieuse collections privée d’arts et d’objets précieux. « Tunisia Events » s’était pour l’occasion, associé à la société « Food Power » du chef Mehdi Khaled, passé par les cuisines d’Alain Ducasse, et, pour des décors particulièrement soignés, à Nada, elle-même diplômée de l’Ecole des Beaux Arts à Paris. Trois musiciens égrenaient des mélodies dans la plus pure des traditions du « Malouf ».
Résident à Tunis, responsable d’environ 70 « grosses opérations » dans toute la Tunisie, Moëz Karoui, ancien de Paris-Dauphine, explique que la « clientèle » de son agence ne souhaite pas retrouver ce qu’elle connaît dans d’autres pays d’Afrique du Nord. Sa « niche » touristique suppose une sorte de « maintien en l’état » sociologique et culturel, a priori contraire au développement de Tozeur. « La charrette tirée par un âne ne doit pas être remplacée demain par un vélomoteur » souligne-t-il. D’où son souhait de « limiter le nombre des riads construits par les Européens ». Déjà, deux cents Français résident ordinairement dans la capitale régionale du Jérid.
Le directeur de « Tunisia Events » donne un autre exemple du tourisme haut de gamme qu’il entend privilégier : récemment trois firmes de luxe, Hugo Boss, Easy Jet et Moët & Chandon ont réuni leurs cadres pour ce qu’il appelle un « one shot event ». Les heureux bénéficiaires ont ainsi été invités à se présenter pour une soirée au comptoir d’embarquement d’un aéroport parisien sans connaître leur destination finale. Arrivés à Tozeur, des Land Cruiser les ont emportés dans le désert où sous une tente bédouine, un DJ animait déjà une fête qui a duré toute la nuit. Le retour en France eut lieu dans la foulée au petit matin.
On sent bien l’ambiguïté des hôteliers face à ce dilemme. Avec un taux de remplissage de 35%, en moyenne, expliquent plusieurs d’entre eux, il est important de « ne pas manquer les occasions ». Reste à savoir s’ils parviendront à combiner les deux formules de clientèle. Sur la durée, la première, prioritaire et avide de sensation, devrait logiquement laisser la place à la seconde, plus fidèle, classique et modeste dans ses choix.
Revenons pour terminer à cette bonne ville de Tozeur qui abrite également un « Institut Supérieur d’Etudes appliquées aux humanités » – un nom qui fleure bon la Sorbonne – lequel a d’emblée intégré la réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) des Universités françaises. Tourné vers les formations professionnalisantes, cet Institut prépare les étudiants aux métiers du tourisme et du patrimoine, aux professions du multimédia ainsi qu’aux responsabilités dans les domaines du commerce et des affaires internationales. Des « professeurs visiteurs » français et italiens viennent régulièrement y dispenser cours et séminaires. A la direction de cet Institut, l’auteur de ces lignes a curieusement retrouvé un de ses anciens étudiants parisiens. Notons en outre les efforts considérables déployés par le gouvernement pour promouvoir l’éducation dans les coins les plus reculés de cette partie de la Tunisie : le moindre petit village, aux routes déformées et aux trottoirs inachevés, comporte néanmoins un bâtiment neuf réservé à l’enseignement. Pour être complet dans la description, on ajoutera qu’il jouxte souvent un autre établissement, tout aussi moderne d’où s’élancent des pylônes aux multiples antennes, exclusivité de la police ou de la Garde nationale.
Saluons, pour terminer par quelques anecdotes, les performances du Sofitel Palm Beach(https://www.sofitel.com/sofitel/fichehotel/fr/sof/2884/fiche_hotel.shtml) : le luxueux établissement, fidèle aux standards des exigences internationales, n’en conserve pas moins la convivialité qui sied à l’environnement méditerranéen. Pas un problème qui ne trouve de solutions avec le sourire, des bagages supplémentaires aux connexions WIFI en passant par le prêt d’un parapluie lorsque sans crier gare, des trombes d’eau s’abattent pour un instant, le temps de laver les saletés causées par la tempête de sable de la veille. On retiendra également les inoubliables crêpes du petit-déjeuner, cuisinées par Mr Talleb Ali, au sourire un peu sombre et qui explique très benoîtement sa nette préférence pour le service « à la carte » du soir : normal lorsqu’on a fait la fête toute la nuit au « Ramla », la discothèque réputée de Tozeur ! Comme il faut tenir le personnel, le Maître d’Hôtel invite donc le dit Talleb Ali à revenir le lendemain matin pour continuer ses prestations culinaires très appréciées par la clientèle.
Pour un soir, on ira dîner à l’extérieur de l’Hôtel : des petits « troquets » comme « La Médina » à côté de la seconde Mosquée ( à droite après Bab El Hawa), ou le « Touzeuross », pas très loin du Musée, assurent un accueil des plus chaleureux, bien différent de l’arrogance du « Minaret » tenu par des expatriés. On ira ensuite se détendre au Hammam « Chabya », non loin du Sofitel (à gauche en sortant de l’hôtel) en évitant celui de Bab el Hawa, qui tient lieu de bain public. Enfin, en attendant l’affluence dans la discothèque « Le Palais » ouverte depuis 2003, la soirée se poursuivra au « Café Maure », où Lotfi, le barman, servira un verre dans une ambiance musicale à l’orientale, plutôt masculine. Pour y accéder, il convient simplement de sympathiser avec Skander, imposant videur algérien d’origine berbère qui s’entraîne quotidiennement au « Gym Force » situé à proximité.
Que retenir de tout ce périple ? Une gentillesse non feinte, certainement plus authentique, plus rustique également que celle probablement dispensée dans d’autres endroits plus touristiques de Tunisie. Assurément un capital essentiel – à préserver – dans le développement balbutiant de cette région. Il faut toutefois espérer que les mutations charriées par l’arrivée de cette modernité n’altèrent en rien ce qui pour le moment contribue à l’indescriptible charme de Tozeur.
Photos: Philippe Bellissent (Aéroport Nice Côte d’Azur), Asma Ennaifer (Tunis Air), Anne Sophie Nickel (agence Destinations à la carte).