La Toile serait-elle devenue victime de son succès ? A l’origine destinée à resserrer les liens culturels – et politiques – entre les peuples au point de faire de la planète un « village mondial », cette invention digne du « soft power » à l’américaine – convaincre les pays étrangers par adhésion volontaire et non par l’utilisation de la force d’adopter les valeurs occidentales – connaît aujourd’hui bien des vicissitudes.
Avec plus d’un milliard d’internautes dans le monde (211 millions en Amérique et 162 en Chine), cet outil informatique a réussi à bouleverser bien des habitudes en faveur de la démocratie : la transmission en temps réel et au niveau mondial des informations a imprimé sa marque aussi bien aux conflits et aux campagnes électorales qu’aux stratégies économiques et aux diplomaties. Ces dernières sont désormais questionnées directement par de simples mais nombreux citoyens comme l’atteste, selon des responsables du Département d’Etat, une pratique devenue courante aux Etats-Unis. Une liberté sans frontière et sans restriction en apparence.
Mais Internet connaît des évolutions inquiétantes où se rejoignent pêle-mêle ceux qui, sous couvert de cette liberté, savent exploiter ou restreindre à leur profit le réseau des internautes.
Faudra-t-il par exemple se féliciter, après l’arrêt récent de la Cour de Cassation, de la fin du monopole français sur les jeux et de son ouverture sur le net ? On pourrait à première vue se réjouir de cette forme de libéralisation. Mais les encouragements au gain – illusoires et socialement apaisants – en disent également long sur les appétits du secteur: la moitié du chiffre d’affaires des paris sportifs proviendra d’Internet dans la prochaine décennie. Soit une prévision mondiale de 39 milliards d’Euros de recettes pour les paris en ligne en 2010, de 140 en 2015 contre seulement 15 milliards aujourd’hui. Dans un livre récent cité par « Le Monde », un ancien entrepreneur de la Silicon Valley dénonce pour sa part les moteurs de recherche qui, à force d’accumulations d’informations sur les utilisateurs, « en savent beaucoup plus sur nos habitudes, nos centres d’intérêts et nos désirs que nos amis, ceux qui nous sont chers et notre psy réunis » ! Manipulée par ceux qui préfèrent se réfugier dans le virtuel plutôt que d’apparaître au grand jour, la Toile devient aussi un enjeu sécuritaire : les sites islamistes radicaux s’en servent pour recruter et transmettre des instructions codées. Sans parler des cyberattaques récentes en provenance de la Chine et lancées contre des sites militaires occidentaux. Que dire en outre des procédés de censure instaurés par de nombreux Etats pour combattre leurs dissidents ? de la Chine – encore – à la Syrie en passant par Cuba, l’Arabie saoudite ou l’Iran, des blogs sont interdits, des adresses filtrées et des cyberdissidents lourdement condamnés ou emprisonnés. Avec la complicité des fournisseurs d’accès tenus « légalement » de se soumettre à la législation « restrictive » du pays hôte.
Pour lutter contre les nouvelles formes de terrorisme, le Ministre allemand de l’intérieur vient de proposer que des policiers spécialisés puissent « visiter les ordinateurs privés de suspects » afin de « voir ce qu’ils préparent ». Cette proposition de Wolfgang Schaüble a suscité, on s’en doute, bien de l’émoi outre-rhin. Elle ne fait toutefois que refléter – et répondre? – à la nature des dangers qui menace un usage de la Toile « en bon père de famille ».