Téléphoner d’où que l’on soit, chatter et se divertir sur Internet. Un mode de vie qui s’accapare de notre quotidien. L’organisation de nos existences se révèle de plus en plus asservie à l’usage des réseaux. En parallèle d’une société sclérosée dans laquelle il devient difficile de trouver sa place, de nouveaux espaces virtuels ouvrent l’accès à des univers merveilleux. Portraits.
Perdue. La vingtaine, jean taille basse aux déchirures béantes, coupe de cheveux rétro, lunettes griffées et écharpe de l’équipe de France, elle a commis l’irréparable : Oublier son téléphone portable. La jeune étudiante attend dans le bar. Les derniers mots de sa meilleure amie lui reviennent en tête : « Rendez-vous au Thor, Cours Saleya ». Aucune confusion possible. Elle maudit ce moment où par précipitation, elle change de sac pour rectifier une faute de goût, sans penser à récupérer le sacro-saint téléphone mobile, outil de ralliement de toute une génération. Pas de téléphone, pas de moyen de transport. Le fil du réseau est rompu. La mémoire vive et les microprocesseurs ont remplacé la matière grise : Elle ne connaît aucun numéro et ne peut joindre personne. Le soir de la finale de coupe du monde. Cendrillon est définitivement seule, coupée de sa tribu. Ce n’est pas qu’elle adore le football… Mais sans téléphone le carrosse ne passera pas. C’est juré. Elle ne l’oubliera plus jamais. Revivre une telle situation, hors de question.
Heureux. Il rentre enfin du bureau. Avant même de retirer sa paire de chaussures, il allume son ordinateur. Cadre d’une grande société de distribution et divorcé, il passe une grande partie de son temps sur un site de rencontre. Il se transforme tous les soirs et tous les week-ends en James Dean numérique. Gentleman de ses dames, ils multiplient les rencontres virtuelles. Lui, la timidité incarnée. Celui qui n’a jamais pu aborder une personne du sexe opposé sans bégayer, rougir de honte et s’éclipser en s’excusant. Pas un seul rendez vous réel. Un emploi du temps de ministre sur la toile. Son téléphone est débranché depuis plus d’un mois. Il ne communique plus que par e-mails. Sa mère ne peut plus le joindre et désespère à l’autre extrémité du pays. Ce soir, elle décide de le joindre par courrier électronique grâce à l’aide technique d’un ami. « Vous avez un nouveau message ». « Mon petit Jacques,… ». Effacé. Il ne veut plus entendre parler de Jacques.
Vivant. « Click ». Connections établies. Une décharge de plaisir parcours le jeune corps frêle avachi sur le fauteuil. Une sensation certainement provoquée par une augmentation du taux d’adrénaline dans le sang. La pupille dilatée de satisfaction, l’adolescent traverse à dos de tigre des décors de forêts infestées d’araignées géantes et de trolls magiciens. Son personnage, un guerrier aux pouvoirs magiques du nom de « Razor ». Il est ce que l’on peut appeler dans son jargon, « un hardcoregamer », un « gik » qui joue en « no life » : un homme ou une femme, entre 12 et 35 ans, qui ne vit plus que par son avatar, sa représentation numérique dans un monde imaginaire. Le support : les MMORPG. Des jeux en réseau sur Internet qui permettent à des milliers de personnes connectées dans le monde, de s’affronter dans un univers à thème (par exemple l’univers héroïc-fantasy rendu célèbre par le long métrage « le seigneur des anneaux »). Son rêve « toucher les assédics à vie ». Ouvrir au livreur de pizza comme seul préoccupation « réelle ». Son dernier cauchemar, une coupure de la connection Internet pendant plus de trois jours. Déscolarisé et sans activités extérieures, il est pourtant l’idole de tout un réseau amical, l’un des meilleurs joueurs de la région.
