Chacun serait bien avisé de s’en convaincre : le sport est un enjeu national, une affaire d’Etat. On pourrait penser que le dire est enfoncer une porte ouverte, si l’on observe les émotions créées par les performances des équipes ou des champions français dans les
grandes compétitions internationales.
Mais l’essentiel n’est pas dans ces grandes bouffées de fierté ou de tristesse qui régulièrement saisissent la nation. Il est dans la nécessité
de reconnaître au sport la place qui doit être la sienne : le sport est un secteur clef pour le XXIe siècle, qui porte à la fois des enjeux économiques majeurs et des valeurs dont l’importance ne peut que grandir puisqu’elles tournent autour de l’universalité, de la tolérance, de la diversité…
Oui, le sport doit être considéré pour ce qu’il est : un enjeu national qui exige d’être servi par une volonté globale mobilisant l’ensemble des acteurs intéressés.C’est ainsi, et seulement ainsi, que la France pourra lui donner les moyens de se développer pleinement et se donner la chance d’en tirer tous les bénéfices.
Le sport, certes, est un vecteur humain majeur, porteur d’épanouissement personnel, de transmission de valeurs, de création de lien social. Mais c’est aussi, et ce sera de plus en plus, un enjeu économique de premier rang, créateur de croissance et d’emploi.
N’oublions pas, pour ne prendre que quelques exemples, qu’un Grand Prix de F1 engendre quelque 100 millions d’euros de retombées, ou encore qu’un stade est un équipement structurant majeur pour l’aménagement du territoire et qu’il génère non seulement des revenus supplémentaires pour les clubs,mais aussi des recettes fiscales pour l’Etat.
Beaucoup de pays l’ont déjà compris, bien mieux compris que la France. L’Allemagne, pour le Mondial 2006 de football, a refait tous ses stades, ce qui a permis d’en faire de véritables lieux de vie dans la cité tout en donnant à ses clubs de football des sources de revenus et donc de développement importants, sans commune mesure avec ce que nous connaissons en France. A l’inverse, en 1998, la France s’est contentée de construire celui de Saint-Denis et de donner un simple coup de peinture aux autres. Il se pose encore aujourd’hui la question de l’opportunité
de construire des stades modernes.
L’Espagne, de son côté, s’impose sur la scène sportive et fait émerger des champions dans plusieurs disciplines. Ce n’est évidemment pas dû au hasard : de bonnes infrastructures, plus de moyens mis à la disposition des clubs et des fédérations, engendrent forcément à moyen terme de
meilleurs résultats sportifs.
A l’image de l’Angleterre, l’Espagne s’impose ainsi de plus en plus dans le choix des rendez-vous sportifs majeurs, au point d’avoir aujourd’hui une chance non négligeable de ravir à Roland-Garros l’honneur d’organiser l’un des quatre tournois du Grand Chelem. De la même manière, qui aurait cru qu’elle irait en finale face à Rio de Janeiro pour le choix des Jeux de 2016, alors que tous les observateurs pressentaient Chicago ? Là encore, une présence et une influence
de tous les instants au sein des mouvements sportifs internationaux ont prouvé leur efficacité.
Quant aux pays émergents, ils ont eux aussi bien perçu toutes les potentialités d’une politique active dans le domaine du sport. L’exemple le plus flagrant nous vient du Brésil, qui a réussi l’exploit de gagner l’organisation de deux événements majeurs, la Coupe du monde de football 2014 et les jeux Olympiques 2016. Mais on pourrait citer aussi les moyens mis par Abu Dhabi pour l’organisation d’un Grand Prix de F1 ou encore la construction pour 1,4 milliard de dollars de l’ultramoderne Sporthub à Singapour, la plus grande infrastructure sportive construite en partenariat public-privé (PPP) au monde, grâce à laquelle Singapour compte bien se positionner comme une place de référence dans le sport mondial et, à terme, accueillir de grands événements sportifs internationaux. Tous ces pays, toutes ces réussites ont un point commun : les mouvements sportifs, les responsables politiques et les acteurs économiques marchent ensemble pour porter projets et ambitions.
La France, hélas, n’a pas encore réussi à créer cette féconde alchimie, et risque, s’il n’y a pas de forte et rapide prise de conscience, de s’exclure de la nouvelle géostratégie du sport qui est en cours de constitution.
Campée sur son passé de patrie de Pierre de Coubertin et sa fierté de voir le français rester la langue olympique officielle, la France est en train de se marginaliser.
Quelques Français seulement pèsent réellement dans le mouvement sportif mondial, parmi lesquels Jean Todt, Michel Platini et Bernard Lapasset, ou encore les deux représentants français au CIO, Guy Drut et Jean-Claude Killy. La France n’a plus organisé d’événement majeur depuis le Mondial 1998. L’organisation de l’Euro 2016 sera un rude combat, pourtant vital pour le football français en particulier mais aussi pour le sport en général. Il n’y a plus de Grand Prix de France de F1. Le projet novateur et audacieux du nouveau stade de Lyon est ralenti par des considérations politiques. Trop peu de grands groupes français placent le sport au coeur de leur stratégie d’entreprise comme peuvent le faire Coca-Cola, Emirates ou Allianz…
Bref, aucun des trois grands acteurs concernés ne semble avoir pris la mesure des enjeux, ni le mouvement sportif, ni le politique, ni le monde économique. Et aucune véritable action collective et concertée n’est en cours, à l’image des « machines de guerre » qui sont en place au Royaume-Uni, en Allemagne, en Corée du Sud ou encore en Russie.
Il n’y a pourtant pas de fatalité. Le mouvement sportif doit rester fort et indépendant, car c’est le garant des valeurs qui font la valeur du sport. Le pouvoir politique doit fixer des caps et imposer une vision. Le monde économique doit mettre ses moyens et ses techniques à la mesure des enjeux…
Non, il n’y a pas de fatalité du déclin. Il y a seulement urgence à réagir.
Olivier Guiguet
